J’ai conduit mes quatre collègues au restaurant l’autre jour. Commentaire de l’un d’eux sur ma conduite : « Si un flic t’arrête il te donne direct la nationalité indienne ! » Comprenez ici qu’en dix minutes j’avais suffisamment klaxonné, fait de demi-tours impromptus et grillé de feux pour mériter le titre d’Indienne !!
Mais alors, pourquoi les Indiens conduisent-ils si mal ??
Je vous arrête tout de suite, ce n’est pas la faute des femmes au volant !! En 2011, seulement 11% des permis appartenaient à des femmes (1) ; et la plupart ne conduisent pas…
C’est une combinaison de facteurs qui explique l’anarchie qui règne sur les routes en Inde…
Il n’y a pas assez de routes (même si le réseau routier est le deuxième mondial en termes de kilomètres et croît de 4% par ans depuis 1951) (2) ; et surtout elles sont pourries ! Et je ne parle pas des routes du Madhya Pradesh (où tu mets 10 heures pour faire 500 kms), le bitume de Mumbai (la capitale économique) est plus troué que du gruyère !
Le nombre d’automobilistes augmente vitesse grand V, une petite dizaine de millions chaque année.
Et la pratique de la conduite est relativement nouvelle : en une génération (20 ans) le nombre de véhicules sur les routes est passé de 5 à 142 millions ! Et encore… à peine 1% des Indiens ont leur voiture. (3) Flippant !! (à part peut-être pour les constructeurs automobiles…)
Ce qui fait donc que la plupart des gens utilisent les transports publics (dominés à 90% par le bus) ou les rickshaws. Or les chauffeurs de bus sont des malades mentaux qui ne s’arrêtent en aucun cas (même pas pour charger les passagers). Ceux de Mumbai actionnent manuellement leur clignotant – une flèche en métal placée au niveau des fenêtres avant. Quand ils l’actionnent. Tous conduisent des engins qui datent pour la plupart de Mathusalem et qui transportent souvent 2 à 3 fois le nombre de passagers prévus. D’où des dizaines de milliers de victimes du transport public en Inde chaque année… (4)
Pour couronner le tout, la plupart des Indiens gagnent leur permis dans une pochette surprise !! Techniquement, quand tu déposes une demande de permis, on t’en donne un temporaire et pour avoir le permis définitif tu dois passer un test de conduite (ils s’en tapent que tu aies pris des cours ou non). J’ai fait un tour de table et trois de mes quatre collègues n’ont pas passé l’examen… Tout s’achète ici ! En conséquence personne ne semble vraiement savoir faire la différence entre les phares et les codes ce qui rend la conduite de nuit très aveuglante (surtout à Delhi)...
Le test en ligne pour savoir si tu connais le code de la route contient une dizaine de questions simples (5). Je l’ai fait, et puis je suis allée regarder les règles de la route en Inde (6). Il y en a tout juste une trentaine : rouler à gauche, se mettre sur la droite quand on veut tourner à droite, se mettre sur la gauche quand on veut tourner à gauche, doubler par la droite (sauf si le véhicule de devant s’est arrêté pour tourner à droite), ralentir en arrivant à une intersection ou un passage clouté, laisser la priorité à droite aux intersections quand on n’est pas sur une artère principale, ne pas faire demi-tour quand c’est interdit, ne pas écraser de piéton, laisser passer les ambulances, ne pas conduire à contre-sens dans les rues à sens unique, s’arrêter au feu et au policier qui fait la circulation. Et c’est à peu près tout !
Ah attendez ! Il y aussi les « signes/signaux ». Je vous laisse juger par vous-mêmes : « Pour indiquer un ralentissement, étendre le bras droit avec la paume vers le sol ; pour indiquer un arrêt, lever l'avant-bras droit verticalement à l'extérieur, paume vers la droite ; pour tourner à droite, tendre la main droite en position horizontale à l'extérieur avec la paume de la main tournée vers l'avant ; pour tourner à gauche, étendre le bras droit et effectuer une rotation en sens inverse des aiguilles d’une montre ; pour dépasser, étendre la main droite et le bras horizontalement à l'extérieur et ramener le bras de l'arrière à l'avant dans un mouvement semi-circulaire. Les signaux ci-dessus peuvent également être simplifiés par des dispositifs mécaniques ou électriques. »
Enfin, la règle la plus importante, et non écrite, c’est « regarde devant toi et fonce ». Les autres t’éviteront… Inch’allah.
N’oublions pas le comportement hyper individualiste des Indiens en certaines circonstances (apparemment hérité du temps du protectionnisme, du rationnement et de la pénurie, où les Indiens devaient se battre, littéralement, pour avoir accès à n’importe quel bien de consommation (bouffe, radio, fringues etc.) qui se retrouve dans les files d’attente et… sur la route !
Et rappelons que les automobilistes ne sont pas les seuls à prendre la route… Les vaches, les chèvres, les charrettes à bœuf, les tracteurs, les chevaux ont également droit de circulation.
On mélange le tout et on obtient le chaos sur les routes ! Et évidemment y a plein d’accidents et beaucoup plus de mortels qu’on pourrait le croire vu la vitesse réduite de conduite… (7)
(2) Si l’Inde a le deuxième réseau routier du monde avec 4.2 millions de kilomètres qui croît de 4% par an depuis 1951 (3.4% depuis 2001), ça reste une croissance de plus de moitié du nombre de voitures. Source : http://www.indiaspend.com/investigations/indias-traffic-nightmare-roads-grow-4-vehicles-grow-11-2
(3) 0,3 millions vehicles in 1951, 5,4 millions in 1981, 21,4 millions in 1991, 55 millions in 2001 and 142 millions in 2011!
Sources : http://nctr.usf.edu/jpt/pdf/JPT%208-1%20Singh.pdf ; http://data.gov.in/dataset/state-wise-total-registered-motor-vehicles-india-2001-2011
Review of Urban Transportation in India: http://nctr.usf.edu/jpt/pdf/JPT%208-1%20Singh.pdf
Le parc automobile indien fait presque cinq fois celui de la France (avec 142 millions de véhicules sur les routes indiennes en 2011 contre 31 millions en France). Evidemment si on rapporte au nombre d’habitants la France a 4 fois plus de véhicules pour 1 000 habitants (481 contre 118).
Sources : http://www.statistiques-mondiales.com/ue_voitures.htm; http://www.knowindia.net/auto.html; http://www.linternaute.com/auto/magazine/l-automobile-en-10-chiffres-cles/31-millions.shtml
(4) Les bus représentent 90% du transport public en Inde – une tendance également partagée partout sauf à Mumbai où les trains transportent 58% des gens qui utilisent les transports publics. A Delhi et Chennai, moins de la moitié des gens utilisent le transport public. Une tendance opposée à Mumbai ou Kolkata – qui s’explique par la configuration des villes (les premières sont moins densément peuplées, plus polycentriques et géographiquement étalées). Le métro de Delhi est superbe mais déjà bondé (aux heures de pointe surtout) et pas pratique : sa structure en étoile impose de passer par le centre pour aller d’un point à l’autre. Bangalore et Kolkata ont aussi le métro et nombre d’autres villes y travaillent.
Sources : http://cistup.iisc.ernet.in/Urban%20Mobility%208th%20March%202012/crisis%20of%20public%20transport%20in%20India.pdf; http://economictimes.indiatimes.com/slideshows/infrastructure/ten-metro-rail-projects-transforming-indian-cities/kochi-metro/slideshow/21478253.cms
(5) http://rtoindia.com/startTest.asp
(6) http://auto.indiamart.com/user-manual/road-regulation.html
(7) http://www.indiansamourai.com/archive/2009/08/18/-.html