Magazine Journal intime

Un bonbon dans ma boite à lettres

Publié le 05 mai 2008 par Thywanek
Vous, je sais pas. Mais moi, oui.
Oui quoi, vous esgourdillez-vous d’emblée et tout de go, car vous savez aisément joindre l’utile à l’agréable.
Oui, il y a des toutes petites choses qui prennent parfois pour moi des dimensions insoupçonnées. (Je vous en prie …)
Je parle d’insignifiance, ou qui en on l’air, mais qui, sans quitter vraiment le statut d’insignifiance où je les assigne sans même y penser vraiment, se mettent, souvent par la durée, un genre de persistance obstinée, passive, à gagner la proportion d’une gentille obsession, muette, minusculement insistante, n’hésitant pas pour autant à générer, ici ou là, par un savant mélange d’intermittence et de régularité, un questionnement abyssal.
Ainsi en va-t-il de ce bonbon qui est dans ma boite à lettres.
Oui. Il y a un bonbon dans ma boite à lettres.
Depuis quand ? Je n’en sais déjà plus rien que d’approximatif : plus d’un an. Un an et demi peut-être. Deux, c’est possible.
Voila, je suis rentré chez moi un jour, ou peut-être une nuit, près d’un lac, le Bassin de la Villette plus précisément, j’ai ouvert ma boite, je ne me souviens plus s’il s’y trouvait du courrier, et j’y ai vu, pour la première fois, ce bonbon.
Petite chose presque timide, papillote de papier brillant aux tons vert pâle, laissant deviner a priori une saveur acidulée au parfum d’anis, ou de menthe, il était aisé, sans même avoir à y penser, de comprendre qu’il avait été placé là afin qu’il poursuivit son éphémère destin de bonbon, à savoir qu’il fut sucé, croqué, dégusté, jusqu’à son anéantissement total.
Las ! C’était mal me connaître moi-même. Et je ne parle pas de vous !
Si les interrogations sur l’origine de ce bonbon, quelle main l’avait glissé dans la fente de ma boite à lettres, et pour quelle raison, passèrent et repassèrent fugitivement dans mon cerveau, elles ne s’y arrêtèrent guère. Parce que très vite ce qui devint la vraie et seule question, découla naturellement du simple fait que ce jour-là, ou peut-être cette nuit-là, près de ce lac, en fait le Bassin de la Villette, je refermai ma boite à lettres sans ramasser le bonbon.
La situation fut immédiatement telle que la simple hypothèse que cette friandise accompagnât un éventuel prospectus ne tint pas une seconde. Je ne l’ai jamais touché mais je suis tout à fait sur qu’aucune marque n’en tatoue l’emballage d’un logo criard. Et puis dans ce cas l’objet publicitaire est généralement bien accroché à son support auquel il ne s’agit pas d’échapper.
Depuis, chaque jour, sauf le dimanche pour cause de manie chronique des personnels de la distribution nationale du courrier de ne pas distribuer de courrier le jour de la grande prière du shabbat de la messe, j’ouvre ma boite à lettres, j’y constate qu’il n’y a pas de lettres, ou qu’il y en a, et alors je ramasse ce qu’il y a, je vois que le bonbon est toujours là, et je referme la boite.
Evidemment, bousculé progressivement par les enveloppes, quelquefois volumineuses, que je reçois, et qu’on glisse dans ma boite, le bonbon s’est réfugié dans le fond. Cependant je l’aperçois sans peine lorsque je regarde si j’ai du courrier. Ma boite à lettres étant située au niveau de mon regard sans que j’ai à me pencher.
Il est là, blotti dans un coin. Son papier brillant n’a rien perdu de son pimpant. Il ne s’en dégage aucune odeur suspecte qui signalerait que le contenu se serait corrompu.
Et chaque jour je referme ma boite sans l’avoir pris, recueilli. Certains jours j’y pense plus que d’autres. Selon l’état de préoccupation dans lequel je me trouve.
Ce soir, par exemple, je lui ai accordé deux ou trois secondes d’attention. Mais je ne l’ai pas davantage considéré.
Est-il destiné à demeurer ainsi encore longtemps ? Après moi si je venais à déménager ? Ou à devoir de toute façon quitter cet endroit pour quelque autre raison ?
Je n’ai aucune idée précise, ni aucune idée du tout, là dessus.
J’ai pensé à le remonter chez moi et à le mettre dans mon grenier.

Mon grenier étant en réalité un grand vase, originellement prévu pour recevoir des fleurs, et que j’ai transformé en un réceptacle de fouillis où se mêlent quelques objet précieux, sortes de jalons dont le plus ancien remonte à l’age de mes onze ans, c’est un médaillon en métal de style hippy, et une modeste brocante de babioles dont certaines causent encore, et causeront sans doute longtemps : « Les choses ont leurs secrets, les choses ont leurs légendes, et les choses nous parlent, si nous savons entendre. »

Mais pour le moment le transfert n’a pas eu lieu.
Je dois dire que je prends cet état de fait avec une légèreté et un dégagement assez constant. Pourtant je ne peux me dessaisir tout à fait de cette énigme.
J’imagine une main d’enfant, ou d’ange, qui glisse malicieusement des bonbons dans les boites à lettres. J’ignore, ceci dit, si le phénomène a touché d’autres résidents que moi. Ce qui n’est pas du tout impossible. J’ai songé, très furtivement bien sur, à questionner les personnes de mon voisinage avec lesquelles j’entretiens des relations courtoises, voire chaleureuses, pour savoir si elles avaient reçu, elles aussi, un bonbon dans leur boite à lettres. J’ai renoncé assez vite, donc, à ce projet : je passe déjà suffisamment pour un original, limite exubérant, ne serait-ce que du fait de déployer très spontanément une constante urbanité de rapport, chichement usuelle chez la plupart des habitants de l’immeuble : je me vois finalement assez mal, surtout maintenant après tant de temps, aller leur demander si bonbon il y eut ou non, et qui plus est, expliciter le pourquoi de cette curiosité, reconnaissons-le, un peu farfelue ou qui passerait facilement pour telle.
Aucun secours, si tant est que ce soit le propos, ne peut me venir de ce côté : pas plus de notre chère et plaisante gardienne, Madame M. : c’est encore d’elle que viendrait la plus bienveillante compréhension, sa jovialité coutumière d’entrée m’en assure : mais elle a ses soucis, et je ne veux pas y ajouter.
Je reste irrémédiablement seul avec ce dilemme.
Je suis lointainement atteint par le sentiment d’une indifférence en définitive parfaitement trompeuse. Car soyons clair : si ce bonbon m’avait été anodin, ou bien je l’eusse mangé, quoique je ne suis pas très friand de cette catégorie de sucrerie, ou je l’eusse pris avec moi et il se promènerait chez moi au hasard des mouvements divers que subit en écueils et en rangements divers ce qui peuple mon huis plus ou moins clos. Il est irréfragable que le fait de l’avoir laissé dans ma boite à lettres, de l’y voir presque quotidiennement, et de lui dévoluir une manière d’attachement fait d’une distance qui veut dire lien bien qu’il soit plutôt élastique, et d’une réflexion qui va jusqu’à me faire écrire à son sujet, devrait achever de me raisonner sur ce qu’est devenu, à ce jour, oserai-je dire à mon corps défendant, ce bonbon.
N’ayant aucun cheval à qui en parler en ce moment, je dois me débrouiller tout seul.
Est-ce un clin d’œil d’enfance que me fait ce bonbon chaque fois que j’ouvre ma boite à lettres et que je l’y aperçois ?
De quel geste ne faudra-t-il pas désormais que j’habille ma main à l’instant, peut-être proche, peut-être pas, où je la tendrais vers le fond de la petite case de bois pour me saisir de ce si petit objet presque trésorifié ?
Ce bonbon vient en tout cas de marquer un point qui pourrait bien être décisif. Cet article, à présent, le désigne et le montre à la face du monde. Il se peut, dés ce soir, que son sort soit connu jusque dans l’empire du Soleil Levant. Il se peut que quelque part, au milieu des Andes, on apprenne son existence.
Cruauté ou résultante décompensatoire d’une petite pointe d’angoisse juste assez cotonneuse pour ne pas me blesser, j’ai pu tout de même en prendre une photo.

Il faudra sans doute aussi que j’enquête un peu sur ce qui boîte à l’être…


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