Autres nouvelles d'Alice Munro

Publié le 27 octobre 2013 par Jlk


1. Amie de ma jeunesse

Dédié à sa mère, ce troisième recueil des nouvelles d'Alice Munro, datant de 1990 et publié en 1992 dans une traduction française de Marie-Odile Fortier-Masek, s'ouvre sur le portrait d'une espèce de sainte profane au prénom de Flora, type de femme sacrifiée qui a toujours fait face aux difficultés de la vie sans se plaindre de son sort, résignée à celui-ci avec le soutien d'une inexorable foi. La nouvelle est d'ailleurs l'illustration d'une forme particulière de sectarisme protestant importé d'Ecosse au Canada anglais sous l'appellation de cameronisme (du nom de Richard Cameron, son fanatique initiateur), caractérisé par un rigorisme à tout crin qu'on retrouve chez les nouveaux presbytériens.

Flora Grieves, dans la maison de laquelle la mère de la narratrice occupe son premier poste d'institutrice à classe unique, n'a pourtant rien du bas-bleu ni rien de rabat-joie non plus. Jamais, d'ailleurs, son amie instite ne dira le moindre mal  d'elle, qui a assisté, de près puis de plus loin, à tous ses mécomptes et toutes ses poisses. La première grande épreuve infligée à Flora date du jour où, juste avant de se marier avec le fruste Robert, l'on constate que celui-ci a engrossé sa soeur Ellie qu'elle chérit malgré sa folâtrerie, transformée plus tard en terrible geignardise après moult fausses couches attribuées à la céleste justice. Ensuite débarque, dans la maison du trio, une intempestive infirmière impatiente de tout régenter, "solide matrone aussi rigidement corsetée qu'une barrique, à la tignasse frisottante couleur chandelier de cuivre, à la lippe rougie au-delà de ses contours peu généreux par nature", bref une horreur de demoiselle Atkinson qui formera avec Robert, après la mort d'Ellie, et Flora dûment dépossédée, un "couple abject".

Entre autres attraits relevant du grand art de la narration et de l'évocation, l'intérêt  de cette nouvelle admirable tient à la mise en rapport des souvenirs de la mère de la narratrice, souffrant de Parkinson et tendant à magnifier absolument la destinée de Flora, nimbée de "majesté et mystère", et du regard plus sceptique de la narratrice elle-même, qui entremêle les fils de plusieurs vies avec la même équanimité, tout en  faisant bien sentir le côté sordide et cruel du sort de Flora, récusant tranquillement l'idéalisation pseudo-mystique de sa mère.

Alice Munro. Amie de ma jeunesse. Traduit de l'anglais (Canada) par Marie-Odile Fortier-Masek. Rivage poche.