C'est ici qu'était le ghetto de Minsk, mais personne ou presque ne le sait, vous explique A, qui n'est pas née ici mais habite à deux pas.
C'est qu'en 1940, près de la moitié de la population de Minsk était juive. Et ça, les Allemands n'aimaient pas trop. Ils ont vite créé un ghetto pour entasser les familles, ils ont même fait venir d'autres Juifs d'Allemagne et d'Europe centrale. Je vous passe les détails des conditions de vie, abominables. Il y a d'abord eu la shoah par balles, mais ça coûtait cher en balles, et certains soldats vivaient mal le fait d'exécuter des innocents. Alors on est passé à l'extermination plus massive : voitures à gaz, puis déportation dans des camps polonais où on avait des chambres pour ça. Près de 100 000 personnes sont mortes dans le ghetto de Minsk.
Comme Brest, Minsk a été détruite à 80 % pendant la guerre. Les Soviétiques eux aussi savent être rationnels : ils ont préféré raser les 20 % restants (disons, 19 %), c'était plus facile pour reconstruire. Et si plusieurs monuments saluent les héros et les victimes de la Grande Guerre Patriotique, dans la Minsk moderne aux larges avenues et aux places monumentales, du ghetto il ne reste plus la moindre trace, ou presque. Une sculpture a été érigée un peu plus au sud, figurant des Juifs descendant vers leur exécution. Et des stèles ont été érigées là où était le ghetto, financées par des descendants de survivants.
Là, tu vois, on marche sur ce qui était le cimetière juif, poursuit A. Ils ont retiré les tombes et construit le parc par dessus. Elle m'explique que par temps de pluie, parfois, le haut d'une tombe affleure.
Et justement là, entre deux arbres...
Ce n'était qu'une trace d'Histoire, une poussière par rapport à tout ce qui s'est joué ici voilà 70 ans, mais cette pierre, avec son haut d'inscription en hébreu, concentrait bien plus que n'importe quel lieu de souvenir officiel.
Un peu comme ce tableau, au musée des Beaux-arts de la rue Lénine. Au premier abord il n'accroche pas vraiment le regard, c'est un tableau parmi d'autres figurant la vie quotidienne à Minsk dans les années 10. Il s'intitule L'horloger : on y voit un homme sec et barbu, à sa table de travail. Devant lui s'étalent les instruments de précision, mais pour le moment il est en train de lire le journal. En hébreu.
Mais ici, personne ou presque ne le sait.
Dans le musée, il y avait les gardiens de salle, et moi.