La Bible selon le Chat*

Publié le 29 octobre 2013 par Zebralefanzine @zebralefanzine

Naguère l’Américain Robert Crumb publia une adaptation fidèle de la Genèse de Moïse en BD qui mécontenta à peu près tout le monde. Nombre d’admirateurs de Crumb, en effet, comme celui-ci avait produit pas mal de BD et de dessins polissons, le croyaient plutôt sectateur de Satan, et ils furent déroutés par tant d’éclectisme de la part de ce maître de l’underground. Quant à certains dévots catholiques, jugeant au contraire le dessin de Crumb d’une laideur démoniaque, ce travail les laissa, si ce n’est outragés, du moins fort dubitatifs (je me réfère à quelques critiques lues ici ou là).

Cela me semble au contraire naturel pour un artiste Américain de s’intéresser à la bible, et plus généralement à la mythologie, tant la culture américaine manque de variété dans ce domaine ; elle est peuplée de super-héros qui sont presque tous des super-flics, un peu comme Tintin en plus fachistes.

L’intention de Philippe Geluck est plus confuse, comme tout ce que fait Geluck, d’ailleurs, dont l’humour repose habituellement sur un usage efficace du paradoxe, c’est-à-dire à peu près l’équivalent de la contrepèterie pour les gens raffinés ou de la physique quantique pour les mécaniciens.

En effet, ne voilà-t-il pas un anarchiste, proche de Siné, qui s’est néanmoins fait connaître par la télé et ses paillettes, les sermons dominicaux de Michel Drucker ; vous avouerez qu’on est loin de Ravachol, Che Guevara ou Ben Laden. Cet homme-là est un paradoxe vivant. Comme il réussit tout ce qu’il entreprend, d’aucuns concluront hâtivement qu’ils ont noué un pacte avec le diable, lui et son chat. «La Bible selon le chat» serait donc un ouvrage de commande ?

Pas si sûr. Car si le diable est le dieu du rire, selon Baudelaire qui lança la mode de se moquer, non pas de dieu mais des Belges, P. Geluck est ici bien moins inspiré qu’avant, pour ne pas dire que son humour antijuif* ou antichrétien** tombe souvent à plat.

P. Geluck semble avoir voulu faire rire, tout en provoquant à la réflexion, animé ainsi par de louables intentions, mais qui se sont neutralisées mutuellement, un peu comme deux personnes de fort tempérament, en formant une paire d’amoureux, finissent par constituer un binôme insipide au fil des ans.

Geluck s’inscrit dans une tradition multimillénaire bien rôdée, attestée depuis l’antiquité, et qui consiste pour les satiristes à railler les récits mythologiques, dont l’absurdité apparente prête à rire, comme le récit de certains rêves incohérents (quand bien même les récits mythologiques juifs, grecs ou chrétiens, n’ont pas comme les rêves un fondement organique ou psychologique, mais se veulent au contraire une approche réaliste du monde, du cosmos ou de l’histoire).

La genèse parle ainsi de la mort et du travail, qu’elle relie au diable et non à dieu, et de leur puissant effet de conditionnement sur l'homme ; elle en parle d’une manière, qui, si l’on y est pas habitué, peut déclencher l’hilarité ou causer de sérieux quiproquos.

Pour se limiter à la Genèse et aux temps les plus modernes, deux humoristes athées, Alphonse Allais et Jean Effel en BD, ont su jouer de l’effet comique du télescopage des figures mythologiques avec le monde moderne, d’une manière plus poétique et plus enlevée que P. Geluck, qui souffre de la comparaison – et moi aussi, ce que, on le comprendra aisément, je ne pouvais attendre d’un ouvrage humoristique. A tel point que je me demande si cet album (double) ne relève pas plutôt de la psychanalyse. Si son défaut d'humour ne vient pas de là ?

La Bible selon le Chat, par Philippe Geluck, Casterman, 2013.


*Il va de soi que P. Geluck n’incite pas à la haine raciale des juifs, puisque ceux-ci ne sont pas une race au sens biologique ou juridique selon… la bible.

**Les efforts de Geluck pour provoquer une réaction des catholiques, en se déguisant en prêtre homo pour faire sa promo, n’ont pour l’instant pas déclenché de réaction majeure de la part du Saint-Siège. Déclencher une guerre ethnique entre Wallons et Flamands aurait sans doute été une meilleure tactique pour un auteur afin de faire parler de lui. Il semble trop tôt pour dire si le prochain conflit mondial éclatera sur la base d’un différend religieux, ou s’il opposera plus banalement les possédants à ceux qui n’ont rien ?