Une prise en passant (123)

Publié le 29 octobre 2013 par Zegatt

Paris, France, 25 février 2007

Elle, c’est ma « Petite fille afghane » à moi, une photo improbable que le hasard a bien voulu que je prenne.
Fin février 2007, il y avait dans le 13ème arrondissement le défilé du Nouvel An chinois. Nous étions partis à la chasse en bande, nos armes sous le bras immatriculées chez Panasonic, Canon, Sony, etc. Nous, c’est-à-dire une bande d’amateurs, rencontrés par les hasards de l’internet sur le Café Salé.
Ce que nous voulions, c’était des costumes, des couleurs, du mouvement, de la foule, des gueules, bref, ce quelque chose qui ferait qu’une photo fonctionne plus qu’une autre, qu’un instant plus qu’un autre mériterait d’être conservé quelque part.

Très vite, je suis passé au noir et blanc, à tirer des portraits avec mon écran rotatif un peu traître, qui me permettait de prendre en photo quelqu’un que je ne regardais pas et qui me permettait d’attraper ici ou là une pose un peu plus naturelle que si j’avais eu les yeux rivés dans la direction de mon objectif.
En tout, j’ai sauvé 16 portraits (dont un de chien), parmi lesquels deux qui restent un peu particuliers pour moi. L’un d’un monsieur de 50 ans passés, le soleil se reflétant dans les verres de ses lunettes au point de ne pas pouvoir distinguer ses yeux, le sourire aux lèvres, un restaurant derrière lui… L’autre, c’est celle-ci, une gamine d’une douzaine d’années, dans son anorak rouge…

Nous étions deux à l’avoir repérée ; quelque chose faisait qu’elle se détachait du reste des spectateurs du défilé. Peut-être le rouge criard de ses vêtements, ou son immobilité alors que le reste de la foule allait et venait au rythme de la procession.
L’autre du Café Salé, Daji, tournait à la couleur, il m’a précédé. Une première photo, il regarde le résultat tandis que je prends la mienne. Et inversement, à son tour d’en prendre une deuxième alors que je regarde la mienne. Pas satisfaisant, ni pour lui, ni pour moi.

Et puis là, le hasard s’en mêle. La fille tourne les yeux, elle me voit qui vais pour une deuxième photo.
C’est son regard que j’ai réussi à avoir, là, complice, au moment précis où elle a su que c’était elle que je prenais en photo. Aucune autre réaction que ses deux yeux qui me fixent.
J’ai vérifié la seconde photo, j’ai regardé la jeune fille et je lui ai souri : j’avais ma photo. Je l’ai regardée à mon tour, sans passer par l’intermédiaire de l’objectif, un rapide sourire. Elle aussi a souri, comme si l’instant où il fallait poser était passé, comme si, un instant, elle s’était retenue de fixer l’objectif ou d’y réagir pour jouer le jeu de la photo…

Un bref instant où le hasard entre la personne devant l’objectif et la tentative de prise par celui derrière fonctionne, entre deux inconnus.

Aujourd’hui, elle doit avoir 17 ou 19 ans et elle a sans doute changé.
Si le hasard faisait qu’elle ou une de ses connaissances croise un jour cette photo (et je crois au hasard), voilà ce que j’ai à lui dire : « Merci ».

…pour la prochaine prise, je vous sortirai mon monsieur souriant au soleil ; sa photo n’a pas d’histoire, mais elle en raconte une à elle seule.