Re: de Villiers est mort

Publié le 03 novembre 2013 par Thebadcamels
Salut Malko,

Je les ai longtemps regardés sans oser les toucher, ces petits pavés noirs à la couverture brillante, où s’étalaient charmantes effeuilleuses armées de gros calibres. Entre le dernier Astérix raté et l’album de l’Equipe retraçant les exploits sportifs de l’année écoulée, ils étaient là, empilés contre le comptoir de la buraliste. Ils étaient immobiles et seuls les titres au sommet de la pile changeaient de temps à autre.
C’est par esprit de contradiction que j’ai entrepris mon premier S.A.S. Je voulais choquer le bourgeois durant mes longs voyages en train. Au fil de ma lecture, je levais de temps à autres les yeux espérant attraper le regard désapprobateur d’une mère de famille ou d’une vieille dame. Rien ne m’aurait fait plus plaisir qu’une leçon de morale Prem’s dans un carré famille, côté fenêtre, sans échappatoire. Mais à ma grande déception, personne ne m’a jamais fait de réflexion sur mes lectures.
Sans m’en rendre vraiment compte, j’ai développé une vraie passion pour S.A.S. J’ai commencé à m’en faire prêter, à en acheter « en gare » comme dit la voix féminine de la S.N.C.F, à en acheter tout court, puis à guetter le moment où la dernière livraison sortirait, traditionnellement en mars, juin (double exemplaire) ou octobre. Pendant des semaines voire des mois, je ne peux lire que cela, à tel point que pour répondre à ceux qui m’interrogent sur mes dernières lectures, je doive réfléchir quelques instant pour ne pas leur répondre du tac au tac « SAS contre PKK (la traque Oçälan) », « Féroce Guinée » ou « la bataille des S-300 ».
La bedaine naissante, j’aime toujours autant évoquer en ville ma passion pour les écrits de Gérard de Villiers. Dans l’immense majorité des cas, les matons de Panurge (Muray) daignent m’offrir au mieux un silence poli, au pire une argumentation oiseuse sur les fautes d’orthographe et de syntaxe présentes dans S.A.S., sur sa pensée réac ou sur le fait que Gérard de Villiers soit trop productif pour ne pas utiliser des « nègres ». Mais laissons les esprits chagrins se plonger dans les romans insipides de la geisha triste et des autres coureurs de pompons littéraires qui publient invariablement lors de chaque rentrée un nouvel ouvrage sans que cela ne dérange personne.
S.A.S m’a aussi apporté beaucoup de bonheur, quand j’ai eu la chance de tomber sur un collègue, un ami, une connaissance animé de la même passion, formant une petite confrérie d’initiés partageant ce secret au gentil parfum de soufre. Nos échanges, nombreux lors de la sortie de chaque nouvel opus, s’émaillaient alors de références plus ou moins voilées au décorateur Claude Dalle, à Elko Krisantem ou au Tattinger Comtes de Champagne « Blanc de Blancs ».
Par les articles du New-York Times et du Monde 2013 qui lui on été consacrés, l’establishment a rendu à Gérard ce qui était à Gérard, reconnaissant à demi-mot avoir prononcé un peu vite leur sentence de beaufitude à l’encontre des aventures du Prince Malko. A bon droit, car c’était nier la belle capacité d’analyse de l’auteur, qui nous proposait avec brio trois fois par an un éclairage neuf sur un point chaud de la situation internationale. Le tout avec un vrai souffle épique et beaucoup d’humour, deux choses bien rares aujourd’hui.
Mais outre ces qualités, Gérard de Villiers était avant tout un formidable conteur, dont il était difficile de refermer les romans avant d’arriver à l’encart publicitaire « Avez-vous lu les derniers S.A.S ? » en dernière page, vestige des années 1970. C’est la marque d’un excellent romancier doublé d’un seigneur du divertissement populaire que 50 ans et 200 aventures n’ont pas réussi à oxyder. Pour ceux qui n’en ont pas encore lu, vous savez ce qu’il vous reste à faire.
 Par ABC.