Prothèse capillaire… ou le syndrome Claude François

Publié le 09 novembre 2013 par Mel_uzine
Berthe,
laisse-moi te raconter une expérience qui est tout particulièrement réservée à nous, les cancéreuses : l'essai de perruque ou plutôt de "prothèse capillaire" (comme on dit lorsque l'on est politiquement correct).
Puisque mes cheveux doivent tomber dans les 15 jours, j'ai pris rendez-vous pour un essai la semaine suivant ma première chimio. Nous voici donc partis, Belamour, ma cousine (qui est aussi ma coiffeuse) et moi à l'assaut de la perruque prothèse capillaire.
Déjà que je n'étais pas franchement emballée à l'idée de porter des faux cheveux, je suis carrément refroidie devant le peu de choix proposé. Si je cherche une "perruque mise-en-plis" pas de problème, mais pour une coupe un peu jeune, il va falloir repasser ! On opte tout de même pour un semblant de carré plongeant, histoire d'essayer quelque chose.
Alors que nous passons dans la pièce voisine, la "conseillère capillaire" me sort :
  -  ben moi, on m'apprendrait un truc pareil, ce serait ma hantise de perdre mes cheveux.
Non mais qu'est-ce qu'elle croit la greluche ? Que j'ai dansé le Sirtaki en sabrant le champagne ? Bien sûr que j'ai pleuré sur mes cheveux, sur la fin de l'insouciance, sur ma vie "d'avant"… De là à remuer le couteau dans la plaie. Surtout que pour le moment, mes cheveux sont encore en place.
  -  Moi : et sinon, vous avez quoi comme teintes disponibles pour ce modèle ?
  -  Elle : alors… on a le blond que vous allez essayer, un brun et un châtain.
  -  Ma cousine : pas de roux flamboyant ou de rouge intense ?
  -  Elle : ah ben non
  -  Moi : parce que j'aurais aimé retrouver une couleur proche de celle que je porte habituellement.
  -  Elle : ah ben non, ça on a pas.
  -  Moi : bon ben, je vais quand même essayer…
Après m'avoir expliqué qu'il faut laisser un espace de quatre doigts entre les sourcils et le haut de la perruque prothèse capillaire (ce qui me rappelle vaguement l'un des cours d'accouchement de ma sœur), je revêts ma toison blonde.
Eh là, Claude François m'apparaît !
  -  Claude, c'est vous ??
  -  Alexandrie, Alexandra.
  -  Non, moi c'est M, mais ce n'est pas grave.
  -  A part ça, la vie est belle. J'ai de mauvaises nouvelles et pourtant je me sens bien.
  -  Ne m'en parlez pas ! Je ne suis pas convaincue par ma perruque. Vous en pensez quoi ?
  -  Voiles sur les filles ! tu lu lu ! J'ai plus d'appétit qu'un barracuda.
  -  Vous aussi ! C'est dingue comme le Taxotère me creuse l'appétit.
  -  Tu es belle, belle, belle comme le jour.
  -  Ah ! On se tutoie, ok. Merci pour le compliment.
  -  Quand tu souris, je m'envole au paradis, je vais à Rio de Janeiro.
  -  Dis donc Claude, tu serais pas en train de me baratiner ?
  -  Je suis dans ta vie, je suis dans tes bras.
  -  Ouh là ! Mollo Fangio ! Claudette, ça ne me fait pas rêver.
  -  Toi et moi, amoureux, autant ne plus y penser.
  -  Voilà, c'est ça, tu as tout compris. Je suis mariée, tu sais.
  -  Ma main caresse tes cheveux.
  -  Ben profites-en car ça ne va pas durer. Ils doivent tomber d'ici peu, tu sais.
  -  Ca s'en va et ça revient.
  -  Oui, c'est vrai, ils vont repousser mais quand même, ça va me faire drôle d'être chauve.
     Mais bon, qu'est-ce que je peux faire contre ça, hein ?
  -  Tu attrapes au piège des flocons de neige. Tu en fais des arcs-en-ciel. Tu peins sur la brume
     des rayons de lune, des oranges et puis du miel.
  -  Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu as fumé ou quoi ? Je ne comprends rien !
  -  Et je me demande si l'on se reverra. Et je me demande si tu te souviendras.
  -  Si je vais me souvenir de quoi ? De ton apparition ou de cette année en général ?
  -  Quelle année cette année-là !
  -  C'est sûr ! Comme tu le dis si bien : "plus j'y pense et moins j'oublie".
  -  Je te vois gagner la guerre et je n'ai plus peur de rien.
  -  Merci, c'est très gentil de me soutenir. Il faut que je te laisse, je dois poser ma perruque
     tout de même. Adieu Claude…
  -  Au revoir petite…
Claude François parti, une décision s'impose : je porterai des foulards ! Je n'ai aucunement envie de passer les six prochains mois avec le fantôme d'un chanteur en pattes d'éléphant !!
J'en fais part à la "conseillère capillaire" qui, en fine psychologue qu'elle est, me répond :
  -  ah ben oui mais les foulards, ça fait vraiment malade. Les gens voient tout de suite
     que vous avez un cancer.
D'abord, je ne trouve pas que "ça" fait plus malade qu'une perruque inconfortable.
Et surtout, je me contrefiche de ce que pensent les autres. Je vais être un peu égoïste et ne m'occuper que de mon bien-être.
Nous sommes le 17 juillet et je fais ce que je veux avec mes cheveux !


Deux précisions :
1 - cette lettre n'a pas été écrite sous stupéfiant, contrairement à ce qu'elle pourrait laisser croire.
2- toutes les paroles de Claude sont extraites de son œuvre, soit dans l'ordre d'occurrence :
"Alexandrie Alexandra", "La vie est belle", "Alexandrie Alexandra", "Belles, belles, belles", "Rio de Janeiro", "Alexandrie Alexandra", "Chanson populaire", "Comme d'habitude", "Chanson populaire", "Il fait beau, il fait bon", "Comme un chanteur malheureux", "Cette année-là", "Toi et moi contre le monde entier"
et "Le téléphone pleure".