Une héroïne dans l’ombre (suite2)

Publié le 20 mai 2013 par Lumbamba Kanyiki @grandkasai

Il pleuvait ce matin-là sur la capitale. Toutes les rues étaient inondées. Les passants, parapluies en mains ou sachets en plastiques sur la tête, marchaient en sautant des flaques d’eau boueuses et interminables sur des voies en terre mal entretenues. Dans les caniveaux non couverts, qui n’avaient jamais été curés depuis les départs des colons, l’eau débordait et emmenait toutes les immondices et les matières fécales que les Sachantais y jetaient à chaque fois que la pluie tombait de jour comme de nuit. Et les odeurs ! Les odeurs pestilentielles planaient pendant des jours et des jours, empoisonnant l’atmosphère, ce qui donnait à la capitale le surnom de Sashanti, la poubelle.

Comme s’était dimanche, la plupart des habitants s’étaient terrés chez eux en ce jour dominical. Souvent c’était une bonne occasion de faire la grasse matinée, bercé par la « musique » douce des gouttes de pluie tombant sur les toits en tôles ou des fenêtres en vitres. A Sashanti, les gens n’étaient pas aussi croyants que dans les provinces pour se rendre obligatoirement à l’église.

Le cadet de la tante de Ndaya, un petit garçon d’une dizaine d’années se réveilla vers six heures, poussé par un besoin pressant de se rendre aux toilettes. Il tourna rapidement la clé dans la serrure, tira sur les cales et hop une petite course sous les cordes de pluies, vers les toilettes, derrière la maison. Lorsqu’il poussa la porte, il se retrouva devant une forme humaine endormie dans le coin. Pris de panique, il rebroussa chemin en criant : « Une personne dort dans les toilettes, maman, maman ! ». Alertée par les cris de l’enfant, toute la famille sortit en courant, le père en tête.

Ndaya se réveilla du même coup et se frotta les yeux. Elle voulut sortir des toilettes, mais fut arrêtée dans son mouvement à la vue de la pluie qui tombait maintenant en rafales dehors. Juste en ce moment, apparut son oncle, le mari de sa tante, suivi de sa fille aînée avec qui Ndaya était sortie la veille au soir. « Qu’est-ce que tu fais là à cette heure, toi ? » lui demanda-t-il, étonné. Avant que Ndaya n’ait répondu, sa cousine expliqua à son père tout ce qui s’était passé la veille. Alors, il demanda à Ndaya si elle avait retrouvé la perruque. Mais en voyant la mine qu’avait celle-ci, il n’insista pas et lui indiqua la direction de la maison.

Lorsque l’oncle se retourna, il se trouva, nez à nez avec son épouse. " Cette fille est très impolie et mal éduquée." commença-t-elle "Comment peut-elle avoir le courage d'échanger ma perruque sans ma permission ? Tant qu’elle ne me l’a pas ramenée ici, elle n’entrera plus dans ma maison ! " Conclut-elle. Mais la cousine prenant sa défense, réagit sèchement : « Maman, elle n’a pas fait express ; elle a tout simplement oublié de reprendre la perruque. D’ailleurs, ce n’est pas elle qui avait commencé, mais plutôt l'autre qui voulait un peu l'essayer ! » Mais sa mère en colère lui cria : « tu la boucles ! ».

L’oncle qui, jusque-là n’avait pas parlé, fit remarquer à sa femme que Ndaya était la fille de sa sœur. « Peut-on jeter un enfant dehors pour une histoire de perruque ? » lui demanda-t-il calmement. Alors, la tante, perdant tout contrôle, demanda à son mari : « Où est ton problème là dedans ? Cette fille est devenue ta concubine ou quoi ? Pourquoi prends-tu ainsi sa défense ? De toutes les façons, ma décision est prise. Pas de perruque, plus de séjour chez moi ! ». Elle se tourna sur ses talons et rentra dans la maison.

Finalement, Ndaya, impuissante, demanda à sa cousine de lui apporter une robe afin de se changer. Elle enleva la perruque qu’elle portait encore sur la tête et la remit à sa cousine. « Je ne pourrai pas retrouver cette fille-là ; tu le sais bien. Garde quand même sa perruque. On ne sait jamais. Elle se débarbouilla le visage et nettoya la bouche au robinet qui trônait dans le coin de la parcelle sous les yeux de ses cousins et de son oncle. Lorsqu’elle eut terminé, Elle demanda à sa cousine de lui remettre quelques effets personnels dans un sachet pour pouvoir se changer au cas où elle ne retournerait pas à la maison. Ensuite, elle prit la direction du portail de la parcelle. Sa cousine, prise de pitié, voulut la suivre, mais fut arrêtée dans son élan par sa mère qui lui intima l’ordre de ne pas la suivre. Ndaya tira sur le portail de la parcelle, l’ouvrit lentement et s’en alla comme une vulgaire voleuse. Ses empreintes furent rapidement englouties par l’eau de pluie. (A suivre)

Lumbamba Kanyiki

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