Elle voulait

Publié le 07 juin 2007 par Mirabelle

Elle voulait être de ces femmes qu'on idôlatre. De ces femmes qui déchaînent passions et coeurs, qui vivent au présent. Elle voulait être aimée, adorée, admirée. Elle voulait être aimée, comme elle l'aimait, lui. Elle n'était pas de celles qui méritent d'être aimées. Trop communes. La cuisse un peu fade, le teint un peu pâle, l'oeil sans éclat. La chair un peu flasque. Elle se dégoûtait suffisamment elle-même pour ne pas comprendre qu'elle n'avait aucun attrait. Elle voulait qu'on l'aime. Elle voulait faire partie de l'autre. Elle voulait "représenter tout", "être la femme idéale", être indispensable. Elle voulait qu'on l'ait dans la peau. Elle voulait qu'on l'aime. Vraiment. Elle voulait être tout. Pas de juste milieu. Pas d'indifférence. Non. De la passion. Des sentiments exacerbés.
Elle voulait se sentir belle. Se sentir femme. Elle qui n'était jamais considérée que comme l'"intelligente", celle qui impressionne par son esprit, jamais par sa beauté. Elle voulait qu'on l'aime. Qu'on la désire. Qu'on l'épouse. Qu'on lui fasse un enfant. Qu'on s'engage avec elle, avec confiance, sans méfiance. A corps perdus. Elle voulait exister. Exister dans ses yeux. Y voir quelqu'un de bien, y voir quelqu'un de beau. Se voir belle, se voir bien. Se voir aimée. Elle n'était qu'intelligente. Quand lui avait-on dit qu'elle était belle ? Belle... Sa soeur l'était. Pas elle. A croire que les gens entraient dans des cases et qu'ils y restaient. Elle ne serait jamais belle. Toujours intelligente. Toujours brillante. Mais jamais belle.
Sauter dans un train et aller le rejoindre, en se disant qu'il serait heureux. Ne pas être déçue, encore, toujours. Ne pas s'apercevoir que l'amour peut être raisonnable et raisonné. Ne pas attendre le bon moment. Le créer. De toutes pièces.
Elle avait eu très tôt conscience de cette faiblesse. Avait tout rattrapé sur l'impertinence, l'humour carnassier, le parcours scolaire parfait. Elle s'était dit... Elle s'était dit que, peut être, on l'aimerait pour ça... Elle l'avait cru, oui.
Mais le manque était là. Elle n'était pas belle. On ne l'idôlatrait pas, on ne l'adorait pas, on ne l'admirait pas. Pas même lui. Elle ne faisait pas partie de lui. Ne représentait pas tout pour lui. A aucun moment n'était la femme idéale. Elle n'était pas indispensable et il ne l'avait pas dans la peau. Elle était, au contraire, dans le très juste milieu.
Pourquoi elle ? Pourquoi moi ?, se disait-elle. Et elle allait pleurer, doucement, tandis qu'il l'accusait encore d'une "crise à deux balles". Alors qu'elle était si malheureuse, si profondément malheureuse... Elle n'était peut être pas belle, elle ne méritait sans doute pas d'être aimée, mais lui, lui, il était aveugle, complètement aveugle, ne voyait rien de rien. Et ce n'était pourtant pas le fait de l'amour...