Un immeuble londonien. Basement flat. En contrebas de la rue d’un côté, en rez-de-jardin de l’autre, derrière une façade à bow-windows couleur crème, le forty-five a connu des heures fébriles, des instants frénétiques de coloc.
Mais revenons au début. Septembre 2007. Chouchou pose le pied en gare de Waterloo. Les paumes des mains sciées et les vertèbres endolories par ses deux valises de 20kg, les yeux encore gonflés par les larmes qui coulèrent abondamment en quittant Paris aux premières lueurs du jour, elle avance péniblement dans le dense flot des habitués en costumes. Soudain, deux visages familiers lui sourient. Céline et Hervé sont venus adoucir son atterrissage à l’aube d’une nouvelle indépendance. En son fort intérieur, Chouchou remercie le Bon Dieu de lui avoir donné une grande famille pleine de fidèles cousins et d’en avoir expatrié quelques-uns outre-Manche.
Le soir même, Chouchou emménageait au 45 Holland Road et allait faire la chouette expérience de la colocation au cœur de l’excentrique, hétéroclite et cosmopolite Londres.
Quelques heures par semaine, elle prenait l’air sur le campus de l’université de Roehampton, dans la banlieue cossue de Richmond. Douze heures exactement. Point trop n’en faut. C’est là qu’elle a connu sa copine mexicaine María del Mar qui est vite devenue Marimar. Marimar c’est la deuxième d’une fratrie de quatre qui lui rappelaient agréablement les quatre filles du Dr. March. Avec Marimar, Chouchou arpentera la capitale britannique. Elle visiteront la Tate Modern, couperont parmi les arbres nus de Hyde Park un nombre incalculable de fois, courront après les écureuils, dévoreront des blueberry muffins dans la chaleur cosy du Caffè Nero, non loin de l’agitation des musicals de Leicester Square, feront leurs emplettes chez Selfridges ou sur Westbourne Grove, du lèche-vitrine chez Fortnum & Mason, rêveront devant les maisons victoriennes de Notting Hill, flâneront chez les antiquaires de Portobello, respireront à pleins poumons l’esprit de Noël devant un chocolat chaud et des tea cakes dans le huppé Chelsea, assisteront à la première de Nutcracker au Royal Opera House.
Ensemble, leur Oyster card toujours dans leur poche, elles ont pris le night bus, se sont moquées des anglaises impudiques, ont appris à aimer les sandwiches triangles chez Prêt-à-manger, se sont délestées de leurs pounds chez Topshop.
C’était la première vraie expérience d’indépendance de Chouchou et elle se réjouissait de pouvoir raconter ses découvertes à ses cinq colocs en rentrant le soir, comme elle le faisait à la maison à Paris. Fourbue après une journée bien remplie, les zygomatiques engourdis par les frimas de l’hiver, après avoir quitté Marimar, elle se hâtait d’aller les retrouver.
Chouchou tourne la clé dans la serrure et pousse la porte. Dans le salon sombre – la nuit est déjà tombée – flotte un nuage de fumée de cigarette. Scotchés devant The beauty and the geek, ses colocs articulent un vague salut. Une tentative de dîner un peu grillé gît dans une casserole. La poubelle, un peu pleine, exhibe quelques restes de garlic bread. Et le réfrigérateur, un peu sale, exhale ses relents de cheddar un peu vieux. C’est vraiment chouette la coloc.