Ma pote le sait maintenant, il faut être un aventurier pour voyager avec un samouraï ! Après la rencontre avec les terroristes Naxalites à Bastar (Chattisgarh), avec les rhinocéros et les moines danseurs d’Assam, je lui proposai cette fois-ci une plongée au cœur de la jungle du Karnataka…
Bonne âme, elle me fait confiance et ne se penche pas trop sur la destination. Bonne âme, elle ne fait pas de commentaire quand nous arrivons dans notre maison d’hôtes à une heure du matin, après une heure et demie de vol et cinq heures de route sur un chemin plus que cabossé. Moins bonne âme, elle me réveille au milieu de la nuit en hurlant : « Je suis terrorisée !! Je veux partir !! » Et je la vois, assise dans le lit, son portable à la main, tentant de battre l’obscurité la plus totale et d’éclairer le lit dans lequel une bête semble s’être invitée. Prudente, avant d’allumer la lumière je lui demande si elle pense que c’est un rat. Prudente elle aussi – elle sait que si elle répond par l’affirmative je serais dehors en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire et elle n’aurait plus qu’à se débattre seule avec le monstre – elle répond qu’elle pense que non. J’allume donc la lumière. Samouraï jusqu’au bout de la nuit… Et je dégage bravement le fautif : un oreiller. Si si ! L’oreiller lui pesait sur les pieds et suivait ses mouvements à elle, imitant sournoisement un serpent. Ou un rat.
Nous entrons rapidement dans le vif du sujet avec le spécimen chilo-italo-belgio-basque français en question : dans la jungle, pas de place pour les faux-semblants. Nous les filles sommes fringuées comme des camionneuses, avec le bronzage qui va avec (dû à un coup de soleil méchant pendant la première balade), et poilues, les camionneuses !! (Les poils semblent inspirés par la luxuriance de la végétation et qui dit jungle dit pas d’électricité dit pas d’épilation et avec l’humidité on ressemble vite plus à Cheetah qu’à Jane !). Et notre Apollon passe ses journées à jardiner, torse nu, avec des sangsues collées entre les doigts de pied, des toiles d’araignée dans la barbe, de la peinture sous les ongles et un maillot de bain qui le gratte. Ce ne serait que ça, on pourrait faire fi ! Mais non. Après un mois et demi de travaux manuels (et de solitude) dans la jungle, il est tellement content de trouver des compatriotes (et des filles, seules et jeunes) qu’il se livre tout entier, et impossible de l’arrêter.
Il nous raconte donc par le menu la fréquence de ses douches (à savoir deux par semaine), sa frustration sexuelle (ou comment il a découvert le moyen de télécharger des photos pornos sur son ipod pour ses soirées en solitaire), ses difficultés liées à l’absence de papier toilette, son comportement de Don Juan qui se tape tout ce qui bouge, ses études ratées et son « école de la vie » indian-style, ses tendances macrophages avec les filles (se définissant lui-même comme un « champignon » qui phagocyte ses copines et s’épanouit grâce à elles), ses envies de courir tout nu dans notre chambre. Oui oui, nous aussi nous en sommes restées comme deux ronds de flanc… Surtout qu’il venait de préciser qu’il aimait bien les poils chez les femmes (message subliminal (confère ce que j’expliquais précédemment)??). Et qu’il aimerait bien passer la nuit entre nous deux ! Ah la fougue des jeunes mâles de 25 ans !!
J’avais choisi l’endroit pour être au calme : pas de réseau téléphonique, pas d’internet, pas de télé, pas d’ordinateur, pas de rien du tout. Mais le destin en avait décidé autrement et m’imposa d’écouter les élucubrations de George de la Jungle, qui ne semblait pas avoir percuté du tout le concept du « sois beau et tais-toi ». Huit heures non-stop. J’avoue avoir commencé à perdre le fil après sa tirade sur la zoophilie… Et le pire, oui le pire, c’est qu’après ce déballage d’atrocités tu le regardes et tu te dis « mais qu’est-ce qu’il est beau » ! Va comprendre les nanas…
Pendant nos parties de scrabble, ma pote et moi observions Georgie biner avec ferveur dans son jardin. Et entre deux parties, nous le regardions attraper des cafards pour nourrir ses scorpion et grenouilles, s’ébattre dans les rivières, transporter des bambous, répondre aux sourires des jeunes paysannes toute émoustillées…Ah Georgie… Qui refusait d’ailleurs de répondre à ce doux surnom d’un « Tarzan raté » !
Rien de tel que des discours sur l’agriculture organique pour calmer des hormones en ébullition… J’avais en effet choisi la guesthouse d’une plantation organique gérée par un couple de chercheurs botaniques (lui Canadien d’origine indienne et elle Indienne) qui avaient fui leur labo de Delhi pour aller voir comment l’agriculture marchait dans la vraie vie… Nous avons ainsi appris que les monocultures extensives et les pesticides détruisent le sol, l’écosystème et nos organismes. Et que la prolifération des plantations de café dans la région menace l’habitat naturel des éléphants, les poussant à attaquer les champs et les villageois. Nous avons également parfait notre culture herpétologique et arachnoïdienne.Ce qui n’empêcha pas les yeux de ma pote de jaillir de leurs orbites chaque fois qu’ils repéraient une énorme araignée poilue alors qu’elle bouquinait tranquillement au lit ! Ou d’appeler Georgie à la rescousse quand un criquet géant s’offrait une partie de trampoline sur le pieu ! Parce qu’en plus d’être beau, il se baladait partout avec son piège à filles, un petit filet avec lequel il attrapait les grenouilles…
Notre beau mâle en rut fut obligé de se dépasser pour assouvir ses besoins sexuels – et il avait sacrément faim ! C’est ainsi qu’il nous invita à boire du rhum épicé autour d’un feu préparé par ses soins. Devant notre peu d'enthousiasme pour chanter des chansons paillardes, il eut la bonté de s'abstenir !
Pour finir, il jeta son dévolu sur votre humble serviteur et… repartit bredouille. Comme je disais, va comprendre les nanas… ;) Enfin pas complètement bredouille non plus : je lui fis don de notre fin de rouleau de PQ pour éponger les souvenirs de ses soirées en solitaire!
On ne le remerciera jamais assez d’avoir pimenté notre séjour junglistique de 3 jours qui aurait autrement seulement consisté en treks matinaux, nourriture goûtue et saine (peut-être même un peu trop !), siestes, jeux de société et découverte de l’agriculture organique !
*C’est un sosie de Gael Garcia Bernal.
Coorg, Karnataka - Nov 2013
Je recommande vivement Mojo Plantation, Madikeri district, Coorg, Karnataka.