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Docteur Piquemal

Publié le 19 novembre 2013 par Ctrltab

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24 000 pièces m’aidaient mais ce n’était pas assez. Alors, je suis allée voir mon dentiste comme d’autres rendent visite à leur psy. Mes dents ne se trimballaient pas dans ma mâchoire ; les caries ne m’attaquaient pas. Non, c’était la situation qui m’apaisait. Je m’allongeais sur son siège, le docteur Piquemal (je n’invente rien, la vie se moque souvent de nous, vous ne le saviez pas encore?), le docteur Piquemal donc appuyait sur une pédale et me montait. Plaisir d’enfant. Manège, tour en rond, et qui décrochera le pompon ? J’ouvrais grand la bouche. L’assistante avait bien pris garde de me passer un bavoir autour du cou. Et son regard inquisiteur plongeait avec ses doigts et ses sondes entre mes canines. Ce n’est pas tant l’intrusion que j’aimais que son bavardage incessant lors de l’opération alors que j’étais absolument incapable de lui répondre. La bouche non bâillonnée, bien au contraire, immobilisée dans la béance la plus totale. Oui, j’étais fascinée par cet homme qui insistait à tenir une conversation avec une patiente prise en otage par ses paroles et ses manipulations dentaires. Je tentais toutefois d’y résister, feignant l’acquiescement ou la surprise d’un grognement ou d’un haussement d’épaules, ce qui n’avait que pour unique vertu d’accentuer le comique du rituel.

Je m’y rendais une fois par semaine, juste pour éprouver le vertige reposant de ce schéma de communication totalement raté. 43 rue des petits champs verts. Une fois l’examen fini, le docteur enlevait, satisfait, ses gants plastiques qui avaient chatouillé mes narines tout au long et dont j’avais inhalé l’enivrante odeur au goût de préservatif. Ses mains longues et velues apparaissaient. Claquement sec du caoutchouc. L’assistante m’invitait à boire et cracher dans le lavabo. La passe buccale était terminée. Bien sûr, il n’avait rien trouvé mais il avait la délicatesse de ne pas le reprocher. Pas une seule fois pendant 52 semaines. Tout comme il ne s’était jamais offusqué de me voir grimper chaque mardi, cliente régulière, sur son fauteuil et me soumettre à son s(t)imuli de farfouillage et son doigté de professionnel. Quant à ce qu’il me racontait pendant ses séances, j’avoue, j’ai tout oublié aujourd’hui.


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