Notes en chemin (82)
Musique des noms.- De Combray à Santillana del Mar, les noms chantent et ne finissent pas d'en appeler d'autres, de Cantabrie à Compostelle où nous sommes ces jours, qui appellent déjà ces noms à venir, demain, de l'Alentejo et de l'Algarve, avant Cordoue et Grenade en Andalousie. Rien que ce nom d'Andalousie est d'ailleurs promesse de tout unmundilloque je m'impatiente d'investir sur ses lieux et par le truchement, aussi, du nouveau roman de l'ami David Fauquemberg,Manuel El Negro, que nous lirons pour entendre les mots et le chant profond de la langue flamenca...
Les mots de Louise. - Ces jours, cependant, c'est avec une autre femme à mots (comme on dit un homme à femmes...) que nous aurons voyagé tandis que je lisais en voiture, des Landes aux Pyrénées et de Cantabrie au Asturies, les mots de dame Claire en ses Histoires de Louise, dont le personnage sort déjà d'autres mots puisque cette Louise Bottu est empruntée au Monsieur Songe de Robert Pinget: " Monsieur Songe au cours de sa promenade du matin rencontre un jour Louise Bottu, la poétesse. Elle est toute déjetée, boiteuse et tremblotante. Mais sitôt qu'elle reconnaît monsieur Songe elle a un sourire de petite fille et leur conversation, qu'ils ont interrompue depuis des lustres, est la même qu'autrefois".
Je ne connaissais guère, jusque-là, la poétesse Claire, que par nos échanges sporadiques de Facebook. Or la récente lecture des livres d'Alice Munro, qu'elle a lu en v.o. lors d'un séjour américain, si j'ai bien compris, et le peu que je sais aussi des éditions Samizdat et de ses autres écrits persos, préludaient à une lecture constituant un moment de voyage privilégié en cela, notamment, que Louise Bottu, comme Claire Krähenbühl, est une femme à mots.
Ces Histoires de Louise, comme les nouvelles d'Alice Munro, nous font passer de l'autre côté du miroir des mots, où une femme, les mains dans l'eau de vaisselle, se dit soudain ceci: "Quand j'étais jeune, j'étais folle". Et de se rappeler un rendez-vous où elle est allée, un dimanche d'été à Heidelberg, "un rendez-vous qu'on ne lui avait pas donné". Les histoires de Louise sont autant d'évocations de vies possibles ou possiblement perdues et retrouvées des années après, ou pas - autant de rêveries.
"Elle se demande souvent. Où vont les petites cuillères ?" Grave question en effet, que ne peut manquer de se poser un pèlerin sur le Chemin de Compostelle, en attendant de rencontrer peut-être une Louise à laquelle il parlera spiritualité pour la draguer, et avec lequel elle préférera jouer au jeu d'"on dirait qu'on serait"...
Louise n'aime pas trop les voyages: nous non plus. C'est que c'est trop souvent pas mal d'emmerdes les voyages, mais qui sait emmener sur la route sa chambre et la poser partout, une chambre et donc une table et un carnet sur lequel recréer le monde: là, ça va, et Louise aime traduire les mots, n'importe quoi faisant vite un poème comme la très élémentaire Lista de precios de la Casona de Andrin:
Temporada baja: habitacion doble: 70 Euros
Temporada alta: habitacion doble: 80 Euros
Cama supletoria para ninos hasta 10 anos: 15 Euros.
Ensuite nous serons à Lisbonne et nous traduirons en portugais ces mots de Rodriguez Garcia, l'auteur d'Al final de la noche, qui a dormi dans la chambre de la Casona où j'ai retrouvé son livre, ces lignes évoquant Lisbonne. "Se miraron a los ojos co una melancolìa hospitalarie, como si desearan comenzar a vivir y tuverian miedo".
"Qu'en est-il des archives d'amour ?", se demande aussi Louise qui claudique volontiers, elle aussi, entre mélancolie et chanson douce. Et c'est un autre voyage dans le voyage qu'on relance, alors, au fil des mots...
Et Louise Bottu de la ramener derechef: "Ah! comme j'aime les mots soupire-t-elle. Est-ce que je radote ? Est-ce qu'on peut tous les glisser dans un poème ? Si longtemps timorée, elle ajoute encouble et ruclon à filament, firmament, batelière, grelot, sureau et tant d'autres"...
Dans la foulée, le pédant puriste franco-français aura tiqué: Non mais, "encouble", "ruclon", et quoi encore ? Alors Louise, qui ne les aurait pas utilisés sous le nom de Robert Pinget, d'expliquer sous celui de dame Claire que s'encoubler signifie, en langue vernaculaire romande, trébucher, et qu'une encouble est, par exemple, un enfant dans vos jambes vous encombrant; alors qu'un ruclon est un tas de déchets ou d'ordures. Or ces mots, si peu académiques qu'ils soient, procèdent en somme du langage-geste, invitant à d'autres voyages...