Travaillant excessivement fort depuis quelques temps, j'étais d'une fatigue extrême.
Ma capacité à me concentrer était donc moyenne.
Ma bourgade était en train de sombrer dans la psychose grâce à un combiné de froid intense et de voies fermées sur un pont.
Chez les riches, on s'invente les catastrophes qu'on peut, pensa le Philippin.
J'étais dans un espace commercial à grande surface quand j'ai croisé une amie du passé. On s'est parlé, remontant la filière du temps et très vite, elle m'a ennuyée. Premièrement je ne l'avais pas reconnue. Une partie de sa joue gauche était difforme et remontait légèrement vers son oeil gauche. Il n'était pas tellement avisé de ma part de lui demander si il s'agissait de mauvais botox ou encore si elle avait eu un accident qui avait légèrement altéré son visage. Mais le visage dont je me rappelais 18 ans avant ce jour-là, n'était pas le même. Et j'ai passé toute les quinze premières minutes à étudier ce visage qu'elle prétendait avoir offert au monde du mannequinat pendant dix ans.
L'espace commercial où je me trouvais faisait jouer la radio, donc un concert de morceaux immémorables sans harmonies et à peine quelques instruments de musique pour unifier de la poésie sans inspiration. Puis...alors que la bouche de mon amie s'étendait sur le milieux artistique montréalais avec une prétention gênante, les premières notes de percussion/clavier d'un super morceau de 1985...
Je me suis à avoir espoir en la radio commerciale.
Là je suis passé de 2013 à 28 ans derrière, avec ma mèche de cheveux qui me tombait sur les yeux comme Roland Orzabal. J'avais d'ailleurs les cheveux assez longs ce lundi-là, me les faisant couper le lendemain et une mèche m'est effectivement tombé sur les yeux me forçant à faire un mouvement d'adolescent de la tête pour les dégager. Je n'écoutait plus Élodie dont les lèvres (gonflées) remuaient toujours, mais auxquelles mes oreilles ne portait plus attention. J'étais en mode nostalgique dans l'antre de Tears For Fears, réalisant que toute la force de cette chanson se trouvait non seulement dans le texte de résistance qui m'avait tant plus en 1985 mais aussi dans le clavier de Ian Stanley. La guitare vers la fin m'a encore offert des frissons comme à l'époque des mes amours adolescentes.
J'avais devant moi une femme tout ce qu'il y a de plus 2013, surmaquillée et atrophiée de la potentielle chirurgie plastique (ses yeux! ses yeux étaient bridés, c'était de la chirurgie plastique j'en suis maintenant certain!) qui aurait pu me demander d'une seconde à l'autre qu'on se prenne en photo sur son Iphone. Elle parlait encore comme une ado. Genre, style, comme. Pendant un instant, quelques 4 minutes version radio, nous étions passé dans le vortex de 1985. Avec cette absence de crainte du monde de demain puisque nous étions invulnérables et que le monde nous appartenais.
C'est con, la chanson de Tears For Fears me donnait une légère envie de pleurer. Comme si je réalisais pleinement que je n'aurai plus jamais cet âge, que je ne revivrais plus jamais ce temps, peut-être que je n'aurai plus jamais cette assurance d'antan qu'il n'y avait rien au monde qui pouvait m'arrêter.
Maintenant que je réalise que ce monde que nous tentions de mater à notre image nous échappe, je suis debout, zombie, et je n'écoute pas ce qu'Élodie me dit. Je ne crois pas rêvée, elle m'a parlé quelques secondes de la finale d'Occupation Double. Je crois que c'est là que les pavillons de mes oreilles se sont cloîtrés.
"...deux, trois n'est-ce pas?..." me dit-elle, interloquée.
"Hein? que...quoi?" ai-je demandé, atterrissant de la lune.
"Toi Hunter, t'as surement aussi deux ou trois cartes de crédit?"
"Non, j'en ai une seule, pourquoi?"
"Hein? ça ne se peut pas! de nos jours tu n'as qu'une seule carte de crédit?"
"Ben...oui...je...je m'excuse?"
"Je sais pas comment tu fais! tu dois pas dépenser beaucoup parce que moi je ne sais pas comment je ferais avec une seule carte"
Je n'ai pas compris son raisonnement et ma fatigue m'a empêché de chercher à savoir. Je me suis bien gardé de souligner que pour un gars qui ne dépenserais pas beaucoup j'avais en l'espace de quelques jours investi sur une voiture neuve, puis acheté avec le beau-frère et sa douce un condôtel* au coeur des Laurentides.
On s'est quitté pour poursuivre chacun de notre côté nos emplettes et je l'ai revue au loin un peu plus tard. Je n'invente rien, elle se faisait un selfie avec son téléphone intelligent. Vous savez cette photo de vous-même que vous prenez (vous-même aussi) en faisant une moue que vous trouvez coquette et que vous irez placer sur Facebook ou Snapchat.
J'avais encore un peu envie de pleurer.
I hope they live to tell the tale
I hope they live to tell the tale...
*Il s'agit d'un condo qui nous appartient maintenant, autour d'un lac et dont la location est gérée par une gestion hôtelière qui se garde une pointe de tarte dans la location et nous envoie le reste de l'argent. Bien entendu ce condo est 100% à nous à une vingtaine de reprises sur 365 jours et quelques fois à 20$ la nuit pour parents, amis ou invités. Un bonheur à tous les niveaux.