Mesdames, comment ne pas vous rendre à un rendez-vous...
Chapeau dûment épinglé,
Manteau enfilé,
Assise dans son salon,
Madame Jalon
Ne pouvait se décider
À se lever.
Depuis deux ans,
Combien de fois pourtant,
En l’absence de son mari,
S’était-elle vêtue ainsi
Pour rejoindre M. Bardon.
En son logis de garçon !
La pendule, qui sonna trois coups,
La mit debout. Sans envie, elle sortit
En pensant : ‘’Il va s’impatienter !’’
Mais au square de la Trinité,
Un siège tentateur
Lui tendit les bras :
‘’Je me repose un quart d’heure.
Ce pauvre Bardon attendra.
J’en ai assez
De ce poison qui égrène les mots d’amour
Comme s’il récitait son chapelet
Sur le chemin de croix de l’amour.
Maintenant assise, jambes allongées,
Mme Jalon l’imaginait
Pestant contre son retard…inopiné
Elle le voyait
Marchant à petits pas
Chez lui, là-bas,
Ouvrant la fenêtre,
La porte aussi, peut-être,
N’osant fumer
Car, sur le sujet, elle l’avait gendarmé.
Mme Jalon s’était assise
En face du clocher de l’église.
De là, elle voyait
Les aiguilles de l’horloge tourner.
Quand la demie a sonné.
Elle pensa : ‘’Autant de gagné !
Et puis je mettrai encore une demi-heure
Pour gagner la rue Mercœur.
Je regarderai les vitrines ; je flânerai.
Et voilà, cela fera une heure volée !’’
Elle trainait comme un poids
La masse de souvenirs insupportables,
Ce fardeau intolérable
Des précédentes fois !
Ce n’était pas aussi douloureux
Qu’une visite
Chez le dentiste,
Mais c’était bien plus ennuyeux !
Que Bardon lui semblait mièvre !
La nausée lui montait aux lèvres
En songeant aux biscuits au gingembre,
À l’odeur confinée de sa chambre,
Et aux volets prudemment fermés.
Les bougies, seules, restaient allumées.
Mme Jalon ne voulait plus écouter
Les : ‘’Laissez-moi, je vous prie,
Ma chérie,
Baiser vos mains
Jusqu’à demain.’’
Son amant l’insupportait
Quand il s’agenouillait devant elle
Dans un mouvement
Si ridicule, si rituel
Qu’on eut dit, ma foi,
Un vieil acteur
Jouant pour la centième fois
Le mélodrame d’un mauvais auteur.
S’ensuivait une corvée surhumaine :
Il fallait, chaque semaine,
Se dévêtir à la sauvette,
Sans l’aide d’une soubrette.
Se rhabiller, était aussi exaspérant.
Elle aurait giflé Bardon tournicotant
Autour d’elle, gauche et empressé :
-« Permettez…Laissez… »
L’horloge sonnant les trois-quarts,
Elle se décida à sortir du square.
Elle n’avait pas fait
Dix pas qu’elle tombait
Sur un ami, le baron Besse
Qui lui fit mille politesses :
-« Que n’êtes-vous venue encore
Voir mes collections d’Angkor ? »
-« Mais, cher baron,
Une femme, …chez un garçon ! »
-« Comment ! En voilà une erreur !
Visiter une collection de valeur
Chez un homme fréquentable
N’a rien d’inavouable ! »
-« Au fond, vous avez raison. »
-« Alors, venez voir ma collection ? »
-« Oui, mais quand ? »
-« Maintenant ! »
-« Non, je suis pressée, baron. »
-« Allons donc ! »
-« Vous m’espionniez ? »
-« Non, mais convenez
Que vous n’êtes pas très pressée. »
-« Oh ! c’est vrai,…pas très… »
Un fiacre passait à les toucher
Le baron cria : -« cocher ! »
La voiture s’arrêta. Il ouvrit la portière :
-«Veuillez monter, amie très chère. »
Il s’assit près d’elle et ordonna :
-« 32 boulevard Masséna ! »