Marianne

Publié le 30 novembre 2013 par Sabledutemps @YvDG

                                              

Dans la salle du Conseil municipal de la mairie, Marianne … s'ennuyait ferme !

Des années qu’elle trônait sur cette cheminée : - “ toujours les mêmes visages, les mêmes questions, les mêmes réponses, la routine, encore et encore et toujours … ” -

Sa seule distraction consistait à présider aux cérémonies de mariage “ :

- là, j’avoue le spectacle vaut parfois son pesant de dragées ! Mais bon, on ne se marie pas tous les jours à Saint Germain Lespinasse, autant dire que, à part ces festivités « pour le meilleur et pour le pire », les joyeusetés se font rares. Bref, j’étouffe ici ! C’est sinistre et mortel, il ne se passe jamais rien d’intéressant ! “ -

Non rien … jusqu’à ce jour de fin 1989 où la commune de Riorges avait, dans le cadre du bicentenaire de la révolution française, décidé d’exposer toutes les Mariannes de l’arrondissement de Roanne, au château de Beaulieu ! : - “ Ouaaahh ! chouette je vais enfin prendre l’air ! “ -

Elle allait pouvoir rencontrer les copines, papoter :  - “ alors comment ça va ? - super bien - et toi ? -mais dis donc, tu t’es fait refaire le nez! - t’as vu l’autre là-bas, elle nous snobe ”   - échanger les potins communaux : - “il est bien ton maire? - ouais trop sympa, génial, - et toi ? - bof pas top ! “    - et surtout, surtout, se faire ad-mi-rer - “ ça c’est l’pied ! “ ( plaisanterie favorite d’un buste de Marianne -  note de l’auteure -  )  - “ vive la révolution de 89 ” -  C’était la fête.

A la suite d'une demande du Centre Culturel de Turin, quatre d'entre elles furent choisies, pour participer en avril 1990, à une exposition en Italie, mais oui, Messieurs Dames, en Italie, et notre Marianne faisait partie des heureuses élues :  - " la classe ! " -.

Enfin l’aventure, la belle vie ! La municipalité avait donné son accord, les futurs mariés de la commune se passeraient bien d’elle quelques temps.

En route pour Turin  :

 - “ Oh l’Italie, mon rêve, Turin, le baroque piémontais, le palais royal, les rues en arcades, et Garibaldi, aaahhh Garibaldi ! si beau, si romantique, j’en ai les jambes qui flageolent … euh … qu’est-ce que je raconte, moi ! “ -

 Et puis représenter le charme français, la République, les droits de l’homme  - “ et de la femme aussi ! ” -  quel honneur. Tout cela vous émoustillait une Marianne en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Les jours et les mois s'écoulèrent, Marianne ne rentrait pas, l'absence se prolongeait. Les commentaires allaient bon train :

: - “ Alors, la vedette, toujours en Italie ? Ah elle s’offre du bon temps la diva ! z’êtes sûrs qu’elle n’a pas filé à Venise dans les bras d’un séduisant gondolier ? ” -

Courriers, appels téléphoniques, transactions, la mairie s’inquiétait. Les recherches se poursuivaient. Sans succès. Où était-elle ? - “ Elle n’est plus en l’Italie “-  assurait-on  - ” mais dans la Sud de la France ! "   - “ Madame nous snobe, Saint Germain n’est plus assez people pour une telle célébrité, pourquoi pas St Trop. ? ! ” -

Le transporteur chargé de ramener la belle Marianne avait dû se tromper de destination et de destinataire. Plus aucune trace de la fugueuse ?

Devait-on déclencher le plan “ alerte enlèvement “ ricanait-on dans les chaumières.

Un beau matin, la mairie reçut un appel pour le moins étonnant: -“ Gendarmerie de Thann dans le haut-Rhin, une Marianne égarée s'est réfugiée chez nous, elle semble venir de votre village : Saint Germain Lespinasse, c'est bien vous, n'est-ce pas ?

- “ Ouiiii !!!! » -

Enfin des nouvelles : soulagement, elle était vivante, en bonne santé et apparemment … pas de demande de rançon en vue !  Ouf !

Cependant quelques propos grinçants fusèrent : - “ Elle joue les cigognes maintenant, elle préfère la coiffe alsacienne au bonnet phrygien ! “ -

Les formalités du rapatriement faites, les villageois attendaient le retour de la fille prodigue.

Mais - eh oui ! il y a un mais - : Entre-temps, le transporteur chargé du convoi l'avait rapatriée à Paris, en attente d'un groupage pour le Sud passant par Saint Germain !

Notre Marianne était bloquée dans la capitale : - "  Elle ne s’embête pas, Paris ! Bien sûr, les fastes de l’Elysée sont plus attrayants que ceux de la mairie du village. Brigue-t’elle la Présidence ? Première Marianne de France, évidemment ça vous en jette de la poudre aux yeux ! Envisage-t’elle de rentrer ou compte-t’elle faire le tour de la France ? ! “ -

De guerre lasse, l’organisateur de l’exposition initiale se chargea lui-même de ramener la touriste dans ses foyers !

Partie un matin d’automne 1989 pour quelques semaines, elle était rentrée, guillerette et en excellente forme, de longs mois plus tard.

Depuis, Marianne, très fière de son escapade, a repris sa place sur la cheminée de la salle du conseil - finies les vacances, retour aux mariages, hop hop hop, non mais ! -  des souvenirs plein la tête et quelques douleurs aux cervicales : - “ les trajets en camion, c’est mortel ! les voyages forment la jeunesse et déforment les pieds ( et ça j’m’en fiche hé hé hé ) mais tordent le cou ! “ et si vous tendez l’oreille vous l’entendrez parfois murmurer “ Tutti bene “ et rire aux éclats.

D’aucuns disent qu’elle songe à rédiger ses mémoires. Ainsi connaîtrons-nous les p’tits dessous secrets de l’histoire et qui sait … le prénom du gondolier ! ! !

“ peut-être, peut-être ! Un fait est sûr, au prochain voyage, j’exige le T.G.V. et en première classe s’il vous plaît, question de confort, de prestige voyez-vous, je suis tout de même la Marianne de Saint-Germain Lespinasse ! ” -

Je me suis laissé dire que le financement d’une carte Vermeil par la municipalité n’a jamais été à l’ordre du jour et que cela n’est pas prévu dans les années à venir non plus, restrictions budgétaires obligent !

A suivre !

... 

 P.S. : Ceci n’est pas une fiction, les tribulations de notre Marianne sont vraies, et elle a bel et bien disparu pendant de long mois.

Evidemment, je ne suis pas responsable de ses propos, ni de ses … caprices ! ! !