Lorsque j’ai appris que le livre culte Moi, Christiane F. 13 ans, droguée, prostituée allait avoir une suite, plus de 30 ans après sa sortie, j’ai eu un sentiment partagé. J’avais lu à plusieurs reprises ce livre, il avait nourri mon imaginaire berlinois et lorsque je me suis rendue dans cette ville, j’ai essayé d’être attentive à chaque signal que celle-ci pouvait m’envoyer… mais les lieux avaient beaucoup changé : la station de métro Zoologischer Garten (soit la fameuse station Zoo - Bahnhof où Christiane et ses potes se réfugiaient pour se piquer) avait été nettoyée à l’acide (ou presque). De même, le Kurfürstendamm, longue artère commerciale de Berlin Ouest sur laquelle Christiane racolait ses clients n’est plus qu’une avenue aux vitrines franchisées. Christiane et ses copains avaient déserté ces sites pour des lieux moins publics et la consommation de la drogue avait migré dans des appartements, des squats près de Kreuzberg, plus spécifiquement près des parcs Görlitzer et Kottbusser. La dernière fois que je suis allée à Berlin, j’ai vu des unes de journaux qui titraient que Christiane F. avait replongé et qu’on l’avait revue, hagarde, dans les allées de l’un de ces parcs. J’étais surprise et en colère : contre les journalistes, qui devraient foutre la paix aux gens et contre Chrisitiane car si cela s’avérait vrai, tout son travail de sensibilitation lors de la sortie du livre n’avait vraiment servi à rien. Je m’étais dit : peut-on être si faible ?
En lisant Christiane F. La vie malgré tout, ma réponse a été : oui. Oui, nous pouvons dire une chose et faire le contraire, vanter les mérites d’une solution pour se sortir du merdier et replonger dès qu’un idiot qui ne sait pas où aller vient frapper à ta porte. La vie de Christiane depuis la sortie du livre en 1980 est une suite de décisions difficiles, de ruptures familiales, de déchirements très durs (le retrait de la garde de son fils est un exemple qui ne laisse personne indifférent, junkie ou pas)... On est amené à croire que de toutes façons, quels qu’aient été ses choix, Christiane avait grandi “junkie” et qu’elle le resterait toute sa vie. On le voit dans ses descriptions de ses séjours en Suisse : en ville, elle reprend des réflexes pour identifier qui fait quoi dans le seul parc où l’on se drogue à ciel ouvert et où elle met les pieds sans même chercher à le faire. Ses repères sont autour de la drogue, de l’addiction, des relations malsaines… et sa grande lucidité sur cela ne fait que renforcer l’incompréhension : pourquoi reprendre de la drogue quand tu arrives quand même à t’en passer pendant des années ?
A la lecture de cette suite, j’ai retrouvé le ton parfois désinvolte de son auteur, sa vision à la fois légère et très pragmatique de la vie. Elle annonce plusieurs choses qui doivent un peu chatouiller les personnes qui l’ont croisée : elle raconte qu’elle a été la première nana avec laquelle un musicien très connu en Allemagne a perdu sa virginité (il doit être ravi) et explique comment elle et le père de son fils se sont envoyés en l’air via “petit chemin sombre qui sent pas très bon” (référence hors de propos!) alors qu'elle sentait les premières contractions qui annonçaient l'arrivée de son fils, en ajoutant que “c’était génial”. Disons qu’elle ne se pose pas mille questions avant de parler et c’est que qui fait que ce témoignage est garanti sans censure. Comme elle raconte qu’elle n’ai jamais eu besoin d’argent (à 18 ans, elle a touché ses droits d’auteur, l’équivalent de près de 400 000 euros actuels) et que l’une de ses fiertés était de bien le gérer et de n’avoir pas cédé à la tentation qui aurait pu être la sienne de s’envoyer des milliers de marks dans le veines tous les jours. En gros, il faut noter que cette nana n’a jamais fait d’overdose….
Mon passage préféré c’est son passage à Los Angeles, lorsqu’elle vient faire la promo du film car la jeune actrice qui portait le rôle principal n’a pu y aller, car son père voulait tout contrôler (la pauvre, elle devait être bien déçue). Du coup, au lieu d’avoir la copie, les américains ont eu l’original. Christiane raconte qu’elle logeait au Château Marmont lorsque John Belushi y est mort, mais qu’elle ne savait pas qui s’était alors elle s’en foutait (aujourd’hui, la mort du Blues Brothers est un moment culte de l’histoire du rock, qui est entré dans l’histoire de cet hôtel mythique sur Hollywood Boulevard). Elle raconte aussi comment elle a fait des virées pas croyables, chaperonnée par un Nina Hagen complètement flippée. A cette époque, elle est clean… et jolie !
Los Angeles, début 1980's.
Justement, le livre présente des photos de Christiane, du début des années 1980 (comme à Los Angeles en 1982) à aujourd’hui. Ma photo préférée reste celle-ci :
Lorsque cette photo a été prise, Christiane faisait des allers et retours entre la Grèce et Berlin. Elle y est belle mais inquiète. Puis il y a cette photo, prise en 2013 : derrière des yeux qui pétillent, il y a une cirrhose du foie qui ronge le corps et une hépatite A à un stade que tu ne peux pas imaginer plus avancé…
Que retenir de ce témoignage ? J’en retiens de la bêtise, de la grâce, de la mort, de la merde, de la drogue, et une fille qui voulait s’en sortir, qui a tenté des choses pour cela mais dont l’éducation avait été faite dans la rue, aux bras de Detlev, son amour de jeunesse, quand d’autres, au même âge, n’avaient jamais mis le nez dehors après 21h. Christiane c’est cela : de la transgression et des rêves de princesses qui attendent le prince charmant… sur le Ku’damm. Ainsi est la vie de Christiane V. Felsherinow.