2003-2004 furent l'occasion, pour le féminisme français de revenir sur le devant de la scène avec le voile musulman. Depuis de très longues années, on ne parlait plus du féminisme et politiques et journalistes ne s'y intéressaient que pour hausser un sourcil goguenard.
Le voile a permis de mettre tout le monde d'accord et aux féministes de revenir sur le devant de la scène. Comme le soulignent Ewanjé-Epée et Magliani-Belkacem, le combat contre le voile a souvent été pour les féministes, et ce dés 1890, un moyen pour acquérir du pouvoir dans un monde d'hommes (blancs faut-il le préciser). Se présenter à la fin du XIXeme siècle comme la branche féminine chargée de civiliser les femmes musulmanes a permis aux suffragettes de parallèlement placer sur la table des négociations le droit de vote.
Les choses ne sont pas allées différemment en 204 lors des lois contre le voile. Faire parler du féminisme - et donc faire bouger les choses - n'est pas chose évidente et des sujets qui semblent apparemment consensuels comme la lutte contre le viol ou les violences conjugales suscitent en général un désintérêt poli mais ferme. Le voile, en revanche, après 2001, permettait de continuer cette mission - sans doute inconsciente mais réelle - civilisatrice des femmes musulmans malmenées, victimes, coupables, on ne sait pas trop.
Si le patriarcat tend souvent à placer les femmes dans une situation d'infériorité intellectuelles, tendant à sans cesse nier ce qu'elles disent, ce qu'elles ressentent, un certain féminisme tend à faire de même. Vous pensez être libre mais vous ne l'êtes pas a-t-on entendu. Vous pensez mettre ce voile en toute conscience mais cela n'est pas le cas.
Alors cette position aurait pu s'entendre parce qu'il est bien clair que dans une situation de domination, on n'a pas toujours conscience de classe et que le propre d'une classe dominée est d'avoir souvent intériorisé que ce qu'elle vit est normal. Cette position aurait pu s'entendre si les féministes qui parlaient du voile avaient appliqué ce qu'elles disaient à elles mêmes. Or en 2004 la simple réflexion sur le vêtement féminin occidental suscitait l'étonnement. En clair les seules à ne pas bien savoir ce qu'elles faisaient étaient des femmes souvent racisées, parfois étrangères et dans tous les cas musulmanes. En plus cela tombait bien pas une femme avec un foulard n'a été invitée pour en parler ; ou dans le meilleur des cas, comme un témoignage, qu'on analyse ensuite entre gens sérieux. Je pense que si on avait pu comme en 1950 lancer de grandes cérémonies de dévoilement on l'aurait fait.
En 2013, le féminisme a fait long feu et s'il renait encore vaguement lorsque Fourest ou Badinter nous tentent un énième buzz sur le dos de l'islam, il faut bien avouer qu'on en parle peu en politique. La création d'une ministère des droits des femmes n'a pas changé grand chose et on piétine et végète.
Les déclarations - sans doute d'ailleurs dites sans préjuger de ce qui allait ensuite se passer - de NVB auront permis de réaliser qu'il y avait là à nouveau un bon moyen de parler du féminisme. Et, en effet, depuis ses déclarations, c'est un flot ininterrompu de déclarations qui remettent le féminisme au centre des discussions. Dans ce contexte, quiconque connait un peu la politique sait que c'est l'occasion qui fait le larron et qu'il n'y en aura pas d'autres.
Une commission est donc lancée, les associations féministes s'y mettent. La donne a néanmoins un peu changé depuis 2004, les principales concernées ont maintenant la parole et les prostituées sont invitées dans les media.
Un certain féminisme va alors faire ce qu'il sait faire de mieux ; expliquer à la place des concernées qu'elles ne savent pas vraiment ce qu'elle disent. On va ainsi dire qu'elles ne sont pas représentatives, qu'elles ne savent pas ce qu'elles disent, qu'elles sont en sous-main soutenues par des lobbies proxénètes et, ce que je considère le pire, qu'elles sont quotidiennement violées sans le savoir.
Les mots sont alors lâchés ; votre consentement ne vaut rien, les viols dont vous avez été victimes dans votre enfance vous ont rendus incapables de formuler un consentement éclairé, votre manque d'argent vous fait dire oui à tout. Le système patriarcal a toujours procédé ainsi ; dire que les femmes ne savent pas ce qu'elles disent.
Il n'aura échappé à personne, que, là encore, les principales concernées par cette loi sont des femmes étrangères et souvent racisées.
Et il n'aura échappé à personne que cette loi, qui est une loi de principe, va précariser ces femmes là. Personne, je l'ai déjà dit, ne peut sérieusement penser qu'on va régulariser 20 000 personnes. Gail Pheterson disait que les lois sur la prostitution servent souvent à gérer les initiatives migratoires des femmes ; ainsi certaines ONG locales nigérianes soulignent que les femmes qui migrent sont souvent de mauvaise vie. Ainsi nous disons que les femmes qui migrent ici ne sont pas très aptes à comprendre ce qu'elles font et pourquoi elles le font. Alors nous allons décider à leur place car nous savons bien que si nous étions des femmes nigérianes (on en est toutes un peu n'est ce pas depuis Taubira) jamais nous ne nous prostiturions.
La loi qui va être votée cet après-midi entraînera beaucoup de choses ; mais sans doute le sentiment clair que le féminisme français doit s'interroger, doit faire son aggiornamento comme je l'ai déjà demandé plusieurs fois et surtout comprendre que les oppressions sont multiples et pas binaires.
Relisons une phrase prononcée par Maud Olivier, nouvelle héroïne du féminisme : "Je pense que notre future législation aidera à lutter contre l’immigration clandestine, dès lors qu’elle découragera les réseaux de traite aux fins d’exploitation sexuelle d’amener des jeunes femmes sur le territoire français."
Vous aurez alors compris que le féminisme français n'a pas été instrumentalisé mais a donné toute sa place et mieux son soutien à une loi qui ne vise pas à protéger les prostituées mais masque en fait la politique en matière d'immigration du gouvernement français.