"Plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont été..."

Publié le 09 mai 2008 par Cameron

Andromaque

Non, non, je te défends, Céphise, de me suivre.

Je confie à tes soins mon unique trésor :

Si tu vivais pour moi, vis pour le fils d’Hector.

De l’espoir des Troyens seule dépositaire,

Songe à combien de rois tu deviens nécessaire.

Veille auprès de Pyrrhus ; fais-lui garder sa foi :

S’il le faut, je consens qu’on lui parle de moi.

Fais-lui valoir l’hymen où je me suis rangée ;

Dis-lui qu’avant ma mort je lui fus engagée,

Que ses ressentiments doivent être effacés,

Qu’en lui laissant mon fils, c’est l’estimer assez.

Fais connaître à mon fils les héros de sa race ;

Autant que tu pourras, conduis-le sur leur trace.

Dis-lui par quels exploits leurs noms ont éclatés,

Plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont été ;

Parle-lui tous les jours des vertus de son père ;

Et quelquefois aussi parle-lui de sa mère.

Mais qu’il ne songe plus, Céphise, à nous venger :

Nous lui laissons un maître, il le doit ménager.

Qu’il ait de ses aïeux un souvenir modeste ;

Il est du sang d’Hector, mais il en est le reste ;

Et pour ce reste enfin j’ai moi-même en un jour

Sacrifié mon sang, ma haine et mon amour.

Jean Racine, in Andromaque, Acte IV, scène 1