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Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Corse, Éloge de la ruralité

Publié le 12 décembre 2013 par Angèle Paoli
Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Corse, Éloge de la ruralité,
Images en Manœuvres Éditions, Marseille, 2010.


Lecture d’Angèle Paoli

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Maddalena Rodriguez-Antoniotti,
Capicorsu, circondu di Patrimoniu,
Corse, Éloge de la ruralité, page 51
Source


DE LA FRAGILITÉ ORIGINELLE DE LA CORSE

Serait-ce là, dans cet album de photographies signé Maddalena Rodriguez-Antoniotti, que se dévoile, cachée à nos vies empressées, la Corse insolite-secrète susceptible de déranger les habitudes de nos regards ?

Rien dans Corse, Éloge de la ruralité qui entraîne l’imaginaire du côté des paysages grandioses qui font d’ordinaire la renommée de l’île. Rien de la beauté pure des montagnes ni des beautés fulgurantes de la mer. Rien de ces somptueuses découpes qui s’imposent d’elles-mêmes et que nul — autochtone ou touriste de passage — ne résiste à immortaliser dans ses prises de vue. Maddalena Rodriguez-Antoniotti s’est délibérément détournée des clichés qui font de la Corse sa réputation de joyau de la Méditerranée. Kallisté. La très belle.

Tournant le dos aux plages de rêve, aux calanche, aux montagnes prisées pour leurs à-pics vertigineux et leurs piscines émeraude, la photographe débusque pour nous, au hasard de ses marches, de tout autres terroirs. Corse, Éloge de la ruralité est un univers de silence et de calme paisible. Qui offre de l’île un paysage insolite de champs et d’enclos enserrés dans un écrin de collines verdoyantes. Un univers qui parle sans tapage de la modestie agreste de terres cultivées, de vignobles, d’étendues (où paissent, depuis toujours, les troupeaux), de tombes anciennes que jouxtent les pacages. À l’abri de la turbulence du monde et loin des hommes pressés. Un univers virgilien fait de douceur, habillé de tendresse ; un monde du passé qui affleure encore, du nord au sud de l’île et d’est en ouest ; un monde qui parle de ce qui demeure de la ruralité d’antan. Ici et là, une barrière, des murets de pierre sèche, d’anciennes bergeries, des enclos entretenus. Le temps est suspendu entre les rondeurs boisées des collines, les miroitements d’un ruisseau, les feuillages roussis de l’automne, les prairies couvertes de fleurs des champs, les rangées de vignes bien alignées. Personne. Seul le regard pénétrant et doux de la marcheuse révèle la présence. La vie est impalpable mais la terre respire et la Corse se livre, dans sa simplicité et dans son authenticité.

Infatigable, la photographe arpente les chemins creux de la plaine orientale ; s’arrête sur les enchevêtrements des sous-bois, capte la lumière dans la blondeur des châtaigneraies de la Castagniccia, surprend notre regard avec les « steppes » de la Balagne, ponctuées de troupeaux. Les arrondis toscans de la Conca d’Oro n’ont pas de secret pour elle ni les bocages du Sartenais ; pas davantage les oliveraies de Balagne. Tout dans ces paysages dit le lent et patient travail des hommes, leur obstination à dompter une nature rebelle. Bel ordonnancement des champs qui parle d’un lieu à vivre en accord avec le ciel et les nuages. En accord avec la respiration et la lumière. Loin de l’invasion anarchique des lotissements qui gagnent du terrain et imposent une uniformité d’une accablante laideur, là où jadis tout n’était que beauté naturelle et harmonie.

Parfois l’œil accroche au passage la silhouette estompée d’un village arrimé à son piton rocheux. Vergers traversés par un chemin de terre, traces de sillons et traces des tracteurs, palmiers en bordure de propriétés patriciennes. Douceur saisie à la volée par un regard attentif à débusquer l’esprit du lieu, attentif aussi à ne pas le trahir ni le dénaturer.

Rien dans ces photographies qui cherche à séduire au-delà de la beauté naturelle des champs des vignes des pâturages ; rien qui vienne détourner l’attention de l’authenticité du lieu. Le souci de la photographe de préserver cette authenticité se lit jusque dans le choix de l’appareil photo, un vieil argentique hérité d’un cousin du Niolu, « un Voigtländer datant de 1938 ». Émerveillée par le miracle que constitue pour elle la révélation de l’existence de tels paysages, la photographe se contraint à capter dans l’instant la fragilité originelle de la Corse. Pour accompagner chacune des prises de vue, un simple titre : « Plaine de la Casinca  / Piaghja di a Casinca » ; Région de Sartène, non loin de Mola / Rughjone di Sartè, vicinu à Mola ; Nebbio, plaine d’Oletta / Nebbiu, piaghja d’Oletta »... La déclinaison des images révèle l’esprit de l’ouvrage. Un éloge silencieux et profond. L’écriture d’une mémoire habitée par le respect. Une esthétique liée à la vie.

« Tant qu’il y aura des paysages… » (tel est l’intitulé de l’avant-propos rédigé par Maddalena Rodriguez-Antoniotti) subsistera l’émerveillement. Un émerveillement qui transporte celui encore capable d’ouvrir les yeux et protège son regard de la sombre colère qui souvent gagne à la vue du désastre imminent qui mine la Corse. Si nul n’y prend garde.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Corse Maddalena



MADDALENA RODRIGUEZ-ANTONIOTTI

Maddalena Rodriguez-Antoniotti


■ Maddalena Rodriguez-Antoniotti
sur Terres de femmes

Bleu Conrad (note de lecture d’AP)



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