Un vieux proverbe bantou explique que les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. Ce que Margareth Mitchell avait traduit en achevant son roman "Autant en emporte le vent " par la fameuse phrase : « demain est un autre jour ». Les sages professent d’ailleurs que chaque matin est différent et qu’il convient de l’attaquer avec l’ardeur de la nouveauté. Il en est certes de tout simples qu’aucune complication ne vient troubler. Le café est à la bonne température, le pain grillé ni brûlé ni tout mou, la confiture ne passe pas à travers les trous et la tartine ne se renverse pas du mauvais côté. Mais en réalité ces doux matins baignés d’une si belle harmonie sont relativement peu nombreux dans une vie et ne sont que l’exception qui vient confirmer la sagesse populaire. Même si, comme souvent en toutes choses, tout est affaire de circonstances. Il est des matins en effet qui se ressemblent trop souvent.Ainsi de ceux où le réveil sonne dès cinq heures pour vous inviter à sauter à-demi réveillé dans l’autobus qui conduit jusqu’à la station du RER qui conduit jusqu’à la gare de Lyon à cause du métro qui conduit jusqu’à celle de St Lazare où ne vous attend pas le TER pour Bois-Colombes où vous attend un petit chef à la voix perçante qui consulte sa montre avec impatience. Ces matins-là sont toujours identiques au précédent et analogues au suivant. Ce qui contredit Margareth Mitchell. Qu’en est-il pour le campagnard que vous êtes ? Toutes ces horreurs citadines vous sont bien sûr épargnées. La lumière du jour qui filtre à travers les volets clos vous réveille paisiblement. Il est huit heures trente deux. Comme d’habitude, le feu dans la cheminée s’est éteint. Il va falloir jeter les cendres, ajouter du petit bois et tenter de relancer la flambée. Pendant que vous vous livrez à cette tâche essentielle à votre confort, votre chat s’ingénie à serpenter entre vos jambes tout en miaulant pour attirer votre attention dans l’espoir d’obtenir sa pâtée sans tarder. Estimez-vous heureux s’il ne vous fait pas trébucher et renverser, par exemple, quelque vase précieux rapporté jadis d’un voyage en Inde par une vieille tante excentrique. Sitôt le chat servi, vous préparez votre café et ouvrez les volets. Pour constater qu’il pleut, comme d’habitude. Sur la terrasse, un méchant vent de traverse a bousculé la potée de roses de Noël mise en place la veille. Le terreau s’est répandu sur le sol et les oiseaux, lancés à la recherche du plus mince vermisseau, le distribuent allègrement aux quatre coins. Vous notez alors dans quelque case encore embrumée de votre cerveau qu’il vous faudra remettre tout cela en place et vous versez votre café dans votre tasse. Mais le téléphone sonne. Surpris, vous faites un écart un peu brusque. Votre coude rencontre le dossier de la chaise. Le café se renverse sur la nappe. Qu’à cela ne tienne, vous vous précipitez malgré tout dans le bureau pour répondre. Trop tard, bien sûr. Résigné face à l’implacable fatalité, vous allumez la radio et vous vous asseyez pour consommer, enfin, votre petit-déjeuner en paix. Soudain, au détour d’une publicité, une voix grave et solennelle jaillit du poste. Pour les natifs du signe des gémeaux et surtout pour ceux du troisième décan, la chance est aujourd’hui au rendez-vous. Vous haussez les épaules. Cette prédiction s’estavérée jusqu’à présent plutôt sujette à caution. Mais la voix insiste. Un vendredi 13 de l’année 2013 est un jour particulier. C’est VOTRE jour. Ce qui prouve bien que les jours qui se suivent etc.… Et tandis que vous rêvez à des matins uniformément plus calmes, le monde poursuit sa course. Imperturbable.