Les piétons sont des cons. Bernard le sait. Bernard est l’heureux propriétaire d’un 4×4 flambant neuf. À l’abri dans l’habitacle, il se sent en parfaite sécurité. Tel le mollusque qui choisit comme domicile une rassurante carapace. D’ailleurs lorsqu’il s’éloigne de son véhicule, il se sent comme l’ermite, Bernard.
Bernard n’est pas seul. Il fait partie de cette nouvelle espèce rassemblée sous l’appellation « Automobilistes ». Le chaînon manquant entre l’Homme et la machine. Entre le déterminisme biologique et le signe extérieur de réussite sociale. Consignant une nouvelle page de la mythologie moderne, il est le nouveau centaure, mi-homme mi-cheval vapeur.
Il y a quelques semaines, Bernard et ses amis ont perdu l’une de leurs idoles. Un certain Paul Walker. Le bien mal nommé fut l’acteur principal d’une saga cinématographique sans rapport avec la randonnée pédestre, mais bel et bien avec le culte de la vitesse et de la puissance automobile. La rencontre entre un poteau et une Porsche, dans laquelle il avait pris place, scella définitivement son lien indéfectible avec cette dévotion. « Qui vit par l’épée périra par l’épée » affirme le proverbe. De même, « Qui vit du culte de la vitesse et de la puissance périra par le culte de la vitesse et de la puissance ».
Vouloir vivre comme Alain Prost et mourir comme Lady Di, c’est le risque assumé par les congénères de Bernard. Conscients du danger, ils n’en demeurent pas moins les nouveaux chevaliers bravant les périls des sorties de piste prématurées. S’exposant aux risques de condamnation à perpétuité paraplégique sur un fauteuil qui donne un tout autre sens à l’injonction « Roulez jeunesse ! ».
Évidemment, sur leur route, ces héros des temps modernes rencontrent encore des adversaires brandissant hypocritement de sacro-saintes règles de vie commune. Des piétons, pour la plupart, revendiquant un meilleur partage de l’espace public, souhaitant chasser Bernard et ses complices des centres-villes, limiter leur liberté d’expression à 30 km/h dans certaines zones, leur faire la guerre à coup d’arguments triviaux et de procès verbeux.
Il pensait à tout ça, Bernard, lorsqu’il a garé son 4×4. Il y songeait encore en traversant l’avenue à l’instant précis où Michel testait les capacités d’accélération de son nouveau bolide. Un corps projeté en l’air. Deux vies foutues en l’air. Michel le savait : les piétons sont des cons.
Guillaume Meurice
24/12/2013