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d'après Maupassant :UNE PARTIE DE CAMPAGNE

Publié le 25 décembre 2013 par Dubruel

 

La voiture s’arrêta devant une gargote 

Restaurant Pouloir

Fritures et matelotes

Barques et balançoires.

Mme Dutoir descendit la première.

C’était une femme forte en chair,

Trop serrée dans un corset dont la pression

Rejetait la masse fluctuante

De sa poitrine surabondante

Jusqu’à son double menton.

Puis, M. Dutoir et Florence, sa fille

Mirent pied à terre.

L’apprenti, Émile,

Déchargea la grand-mère.

On détela le bidet

On l’attacha à un piquet ;

La voiture piqua du nez,

Brancards sur le pavé.

Mme et Mlle Dutoir

S’installèrent sur les balançoires.

Florence prit rapidement son élan.

C’était une belle fille de vingt ans,

Les yeux très bleus,

Les cheveux très noirs et soyeux,

La bouche charnue,

Une de ces femmes dont la simple vue

Vous fouette d’un désir subit

Et vous laisse jusqu’au bout de la nuit

Un soulèvement des sens. Mince de taille,

Elle portait une robe jaune paille

Qui dessinait en la moulant

Les fermes plénitudes de sa chair.

Chaque fois qu’avec entrain,

Elle s’élevait haut dans les airs

Ses efforts soulignaient sensuellement

Le creux de ses reins.

Elle tenait les cordes de l’escarpolette

Les bras tendus au-dessus de sa tête

Si bien que sa poitrine se dressait

À chaque impulsion qu’elle dispensait.

Lors des descentes,

Elle découvrait de façon indécente

Ses jambes fines, jetant

Aux hommes la regardant

L’air de sa jupe, plus capiteux

Que les vapeurs d’un spiritueux.

Assise sur l’autre balançoire,

Madame Dutoir

Gémissait :

-« Émile, viens me pousser ! »

Ayant retroussé les manches, l’apprenti

La mit en mouvement avec une peine infinie.

Ses formes tremblaient sur l’escarpolette

Comme de la gelée sur une assiette.

Quand elle fut élancée

Elle eut un vertige angoissé

Et poussait des cris perçants

Qui attirèrent tous les enfants.

Bientôt une servante vint.

On lui commanda le déjeuner :

Une friture, un coq au vin

Une salade, un gâteau,

Une bouteille de Romanée

Et une carafe d’eau.

À la table réservée par les Dutoir

Deux canotiers finissaient de boire.

Ces derniers, Henri et Florent

Jetèrent

Un sourire déférent

Mais rapide

Vers la mère

Et un regard avide

En dévisageant sa fille :

-« Laissons notre place à cette famille.

Ça nous fera faire connaissance. »

Ils se levèrent. Ils avaient belle prestance.

On accepta.

On remercia.

Les rameurs exhibèrent bien entendu

Leurs bras musclés et nus.

Pour épater Florence

Qui tournait la tête par bienséance ;

Tandis que Mme Dutoir, sollicitée

Par une féminine curiosité,

Admirait ces musculatures d’un air attendri.

Elle les comparait

Assurément

À celles de son mari

Qu’elle avait d’ailleurs depuis longtemps

Cessé de vénérer.

-« Un bien beau temps, monsieur. »

Dit la grosse dame à l’un des rameurs,

Voulant se montrer gentille.

-« Oui, madame. » répondit-il ;

Venez-vous souvent à ce restaurant ? »

-« Oh ! Une ou deux fois par an,

Pour prendre l’air ; et vous, monsieur ? »

-« J’y viens dès que je peux. »

-« Ah ! Ici, c’est mieux que Paname. »

-« Oui, certainement, madame. »

M. Dutoir parla pour la première fois :

-« Un peu plus de coq, mon amie ? »

-« Non merci, mon ami. »

-« Je vais manger le foie,

C’est le morceau le meilleur. »

Florent,

Maintenant

Se tapait sur la poitrine

Pour en montrer la dureté.

-« Oh ! dit Dutoir, quelle vigueur ! »

On but un café et une fine

On chanta quelques couplets pimentés.

Puis on se leva.

M. Dutoir acheva

Quelques mouvements d’assouplissement

Avant de se pendre aux anneaux, gauchement.

Les canotiers invitèrent

Les dames à faire un tour sur la rivière

Henri apporta

Deux lignes, des hameçons

Et des appâts.

L’espérance de prendre du goujon

Alluma le visage rubicond de M. Dutoir

Avec Émile, il alla s’asseoir

Au bord de l’eau claire.

Henri se dévoua; il prit la mère.

-« Au petit bois de l’île ! »

Cria-t-il.

L’autre demanda : -« Comment tu t’appelles ? »

-« Florence. », dit-elle.

-« Tiens ! Moi, je m’appelle Florent ! »

Répondit-il en la couvant

D’un regard rempli de douceur

Assise dans le fauteuil du barreur,

La jeune fille fut troublée jusqu’aux os

Par cet œil qui lui baisait la peau.

Henri lança : -« Nous vous rejoindrons ;

Madame Dutoir

Veut encore boire

Un gorgeon ! »

La yole de Florent fila à vive allure

Et accosta à quelques encablures.

Il prit son équipière aux hanches

Et la porta au travers d’un inextricable

Fouillis de roseaux, de lianes, de branches

Jusqu’à un asile introuvable

Que le canotier

Appelait en riant son cabinet particulier.

Ils étaient assis l’un près de l’autre à présent.

Lentement, le bras de Florent

Tentait d’entourer la taille de l’aventurière.

Elle, repoussait

La main audacieuse sans colère,

N’éprouvant aucun embarras

Comme si c’était

Chose naturelle ici-bas.

Lui vint

Soudain

Un amollissement du cœur

Et des désirs infinis de bonheur.

Le jeune homme l’étreignait maintenant.

Elle ne le repoussait plus.

Elle n’y pensait même plus.

Ils restèrent ainsi de longs moments.

Mme Dutoir et Henri devaient être assis

Non loin de là

Car on percevait de petits éclats,

De tendres et faibles cris.

Sans doute étaient-ils en plein contentement.

Florent avait posé la tête

Sur l’épaule de sa conquête.

Puis il l’embrassa fiévreusement.

Elle fit semblant de se révolter

Et, comme pour éviter

Un baiser nouveau,

Elle se rejeta sur le dos.

Aussitôt,

Florent s’abattit sur elle

Couvrant la belle

De tout son corps.

Il trouva sa bouche encore

Et s’y fixa longuement.

Elle lui rendit ses baisers tendrement

Le désir l’affolait.

Sa résistance s’affalait.

Derrière un buisson,

On s’agitait.

Florent crut voir un jupon

Qu’on rabattait

Sur une jambe adipeuse.

Au bras de son canotier,

L’énorme dame apparut

À moitié

Dévêtue,

L’œil brillant, la poitrine orageuse.

Des rires convulsifs

Illuminaient sa figure.

D’un mouvement impulsif,

Elle saisit Henri par la ceinture

Et posa un gros baiser sur son épaule.

On regagna bientôt les yoles

Et l’on revint à l’auberge.

M. Dutoir s’impatientait sur la berge.

La voiture était attelée

Et la grand-mère installée.

Les canotiers serrèrent

Les mains des Dutoir,

Et crièrent,

Sans s’appesantir :

-« Au revoir ! »

Un soupir et une larme leur répondirent.

Quelques semaines plus tard,

Florent, passant rue Bayard,

Vit l’enseigne Quincaillerie Dutoir

Il entra,

Salua

La grosse dame qui s’arrondissait au comptoir

Et demanda des nouvelles :

-« Mlle Florence, comment va-t-elle ? »

-« Très bien ; je vous remercie.

Elle vient d’épouser notre apprenti.

Comme nous n’avons pas de fils,

Ils prendront notre suite, elle et lui.

-« Sapristi ! »

-« Et Henri ? »

-« Mais il va parfaitement. »

-« Faites-lui mes compliments

Et s’il passe par là,

Dites-lui de venir nous voir…

Ça me fera plaisir. », ajouta Mme Dutoir.

-« Je n’y manquerai pas.

Adieu. », dit le canotier.

-« Non,…à bientôt. », répondirent les boutiquiers.


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