Ca soufflait dur dans la nuit de lundi à mardi et même le reste de la journée. Toute la nuit le fracas du vent dans les volets m’a tenu éveillé. Ma chambre, en pignon d’immeuble et au dernier étage, transformée en cabine de navire navigant par grand vent, l’étrave fendant les vagues monstrueuses d’une tempête digne du passage du cap Horn.
Les deux fenêtres opposées, prises d’assaut par la bourrasque assuraient une stéréo que n’auraient pas renié les plus grandes productions hollywoodiennes pour sonoriser la fin du Titanic ou quelque autre blockbuster relatant une catastrophe d’ampleur planétaire. Planqué sous ma couette, capitaine d’infortune, je n’en menais pas large. Combien de temps les hublots resteraient-ils étanches et les volets m’accompagneraient-ils jusqu’au port ? Toutes ces questions menaient une sarabande folle dans mon pauvre esprit qui aurait tant voulu dormir.
Plusieurs fois je me suis levé pour vérifier que les cales ne prenaient pas l’eau, assommé par le cliquetis infernal des montants métalliques des volets maltraités par les vents déchaînés. De nouveau dans mes draps, de sales draps en l’occurrence, j’ai enduré toutes les ruses de la tempête. Ces accalmies soudaines laissant croire à une trêve et donc une plongée dans le sommeil, auxquelles succédaient des fureurs d’assaillants hors d’eux électrisés par l’imminence quasi certaine d’un écroulement de mur ou d’une fenêtre qui volerait en éclats.
Mille fois j’ai cru que ma chambre allait exploser, offertes aux vents et à la pluie dont les rugissements tels une bronca de joie annonçaient la fin proche. De quelle utilité serait ma pauvre couette, sous laquelle enfoui profond, je tentais d’ignorer le péril ? Un claquement brutal et sec, d’une puissance inouïe m’a obligé à retourner sur le pont y faire une inspection. Arraché par les éléments excédés, le volet d’une pièce adjacente s’était ouvert en projection à l’italienne, s’offrant en pâture à la bête immonde qui rôdait alentour. L’œil chassieux, en pyjama de survie, il fallait absolument ouvrir les deux battants de la fenêtre et refermer ce putain de volet qui risquait d’abandonner le navire à chaque seconde. Mais ouvrir la fenêtre, c’était ouvrir la porte à l’ennemi prêt à fondre sur sa proie, déjà les hululements dans les bouches d’aération redoublaient, les craquements du bâtiment atteignaient des niveaux sonores ahurissants, une bataille se jouait qui ne pouvait être perdue. Au terme d’efforts surhumains dont je vous passe les détails par modestie, j’empochais néanmoins la manche.
Toute la nuit le combat dura, et au petit matin, devenu chèvre à guetter la moindre tentative d’intrusion de la bête invisible, je me suis levé pour me préparer un café. Dehors, la rage vivante n’en avait pas fini, durant des heures et des heures, elle s’acharna sur mon esquif, les volets ne lui suffisaient plus, elle s’agrippait aux protections autour de ma loggia et là encore j’ai dû tenter deux sorties risquées à l’extérieur pour consolider ses flancs qui manquaient s’envoler.
Et puis lassée, en fin de journée mardi, d’un coup la tempête s’est éloignée vers d’autres proies potentielles, le navire a retrouvé des eaux plus clémentes. Le capitaine épuisé s’est effondré dans son canapé, la satisfaction du devoir accompli, la route était dégagée, le Père Noël pourrait passer ce soir.