L'esprit de Noël

Publié le 26 décembre 2013 par Rolandbosquet

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   Il faut se rendre à l’évidence. L’esprit de Noël n’est plus ce qu’il était. Mais le fut-il vraiment un jour ? Luc nous apprend dans son évangile (Luc 2/1-7) que le temps d’enfanter étant venu, Marie donna naissance à un garçon qu’elle coucha dans la crèche entre le bœuf et l’âne. Il ne nous dit pas pourquoi elle le coucha précisément entre les deux pauvres bêtes qui, a priori, n’en pouvaient mais. Il est cependant possible de reconstituer de la scène. Après une longue journée essentiellement occupée à rechercher entre les pierres la moindre touffe d’herbe, un bœuf ruminait paisiblement dans un coin abrité de son étable. Soudain, un remue-ménage le sort de sa torpeur. Un jeune couple et son âne s’installent sans autre procès à ses côtés. Il renâcle bien un peu mais la place ne manque pas et il laisse faire. Il le regrette bientôt. Les gémissements de la jeune femme que les premières douleurs de l’enfantement frappent soudain retentissent alors. Les conseils fébriles de l’homme un peu dépassé par les événements, comme d’habitude, leur font un écho tout aussi désagréable. De son côté, avec un sans-gêne bien éloigné la politesse la plus élémentaire, l’âne qui les accompagnent se jette sans vergogne sur les dernières poignées de foin que l’hôte des lieux destinait à son dessert. Puis les gémissements de la femme s’estompent mais ils sont aussitôt remplacés par les cris du nouveau-né. Mais l’homme l’enveloppe dans une mauvaise couverture pour le protéger du froid et l’enfant s’endort rapidement. Ne sachant qu’en faire, l’homme le dépose sans plus réfléchir dans l’auge où ne subsiste plus qu’une ultime bouchée de foin. L’âne grogne. Le bœuf l’imite à bonne raison puisqu’il s’agit de sa propre pitance. Préférant les séparer, l’homme installe alors le bébé et l’objet du conflit entre les deux. Ce n’était sans doute pas la meilleure manière d’obtenir la paix. Mais il est des moments où les jeunes pères ne réfléchissent pas beaucoup. Quoi qu’il en soit, cela démontre surtout à l’évidence que, dès la première nuit, l’esprit de Noël n’était guère présent. Le couple recevra par la suite quelques visites d’étrangers venus saluer l’enfant qui, selon eux, serait promis à un avenir grandiose. Il reprendra ensuite sa route. Selon certains, il aurait été en délicatesse avec le pouvoir local et aurait trouvé refuge dans l’Égypte voisine qu’il aurait gagnée à pied, bien sûr, en compagnie de l’âne. Mais qu’en est-il du bœuf ? Dût-il retourner aux champs après une nuit aussi mouvementée ? Eut-il droit à une journée de repos ou même à un arrêt de travail ? Lui restait-il des RTT à prendre ? On ne le saura jamais. Aujourd’hui encore, scandalisés sans aucun doute par tant de désinvolture à son encontre, nombre de citadins n’hésitent pas à quitter la chaleur de leur foyer et à affronter les affres de la circulation pour tenter de le retrouver. On les voit à la télévision s’enfoncer avec courage et détermination dans les ténèbres provinciales. Les interminables processions de leurs véhicules s’étirent au long des autoroutes sous le regard placide des agents motocyclistes de la maréchaussée. Certains s’arrêtent parfois sur une aire de repos et des marchands de frites leurs offrent à se restaurer, retrouvant ainsi pour un temps un esprit de noël bien mal en point. Ils arriveront à destination exténués et hagards mais heureux cependant. Demain, ils iront glisser sur la neige ou embrasseront leurs vieux parents ou grands-parents. Ils échangeront quelques cadeaux entre deux agapes pour célébrer leurs retrouvailles. Il n’est même pas exclu qu’à cette occasion, ils ne mangent ici ou là quelque faux-filet de l’infortuné bovin égaré dans les terribles oubliettes de l’Histoire. On voit par là combien l’homme est inconséquent. Comment voulez-vous que le monde tourne bien droit, dans ces conditions ?