Ah qu’il semble loin le temps béni des colonies d’apprentis humoristes qui testaient leurs saillies drolatiques à même le pavé, interpellant ça et là l’individu à la couleur de peau un peu trop foncée, à la kipa un peu trop visible, à la démarche un peu trop efféminée. Un droit fondamental à la vindicte goguenarde que quelques esprits mal éclairés auraient tantôt fait disparaître au nom de celui des Lumières.
Dès lors, la scène resta le seul endroit où il eut été possible de s’exprimer librement, sans contrainte et sans crainte. La scène, c’est précisément le terrain de jeu où quelques humoristes, garants de la lutte contre la tyrannie bienpensante, s’acharnent à dire tout haut ce que beaucoup n’osaient même plus penser tout bas.
« Les arabes sont des terroristes », « Les roumains sont tous des voleurs », « les juifs contrôlent le monde » sont les thèmes récurrents qui réjouissent un public venu en masse acclamer le génie de la provocation, l’éloquence du politiquement incorrect. Leur muse est la xénophobie. Leur xénophobie amuse.
Peut-être peut-on simplement reprocher à ces artistes audacieux d’être quelque peu frileux à l’idée de franchir l’ultime limite. Car l’expression scénique, dans sa quête de liberté totale, doit-elle se limiter au seul usage d’une prose débridée ? Pourquoi ne pas imaginer des scènes de violences physiques et contraintes qui feraient hurler d’effroi les dépositaires de l’ordre moral, et de joie ses pourfendeurs ?
Peut-être est-ce là le prochain défi du spécialiste en dérapages parfaitement contrôlés, aujourd’hui au cœur de l’actualité et des centres d’intérêts du ministre de l’Intérieur : Dieudonné M’bala M’bala. Plusieurs fois condamné par la justice pour, entre autres, « diffamation publique à caractère racial », certains vont jusqu’à se demander s’il est encore légitime de le présenter comme un humoriste. À en croire la vigueur avec laquelle il défend la liberté d’expression en même temps que les régimes politiques les plus répressifs en la matière à travers le monde, force est de constater l’évidence : il fait rire.
Mais de plus en plus à ses dépens. Car en coulisses, les déclarations se font obscènes. Plus de doute possible sur ses réelles convictions. Précisément parce que le prétendu humoriste n’est pas n’importe qui, on ne peut plus rire du tout.
Guillaume Meurice
28/12/2013