SUD-OUEST du 30 décembre 2013 accorde un entretien à Roland Marchal, « chercheur au CNRS basé à Sciences Po Paris » sur l’intervention en « Centrafrique » où il réclame « le doublement des effectifs français ». Cela me donne quelques satisfactions, me rappeler mon enfance puisque qu’on ne parle pas de terroristes mais de rebelles comme souvent pendant la guerre d’Algérie (la résistance était encore trop proche puisque c’est ainsi que la désignaient les Nazis) et mon adolescence puisque les préconisations de ce « chercheur » reprennent celles des Américains au Vietnam.
Pourquoi cet entretien m’apparaît-il monstrueux ?
1 – Que sait ce « chercheur » sur la « Centrafrique » ? Parle-t-il une des langues utilisées ? Combien de temps y a-t-il séjourné ? Est-il venu dans les valises de l’armée française ?
2 – Selon moi, un chercheur doit enquêter sur les réalités pour obtenir des informations de première main des acteurs ou des témoins ce qui exige des compétences en particulier linguistiques – parler la langue de ses locuteurs. Cela suppose un long séjour, le tissage de liens étroits avec ses locuteurs, la longue maturation des toutes les informations de première main recueillies, souvent contradictoires.
3 – Arriver à comprendre ce que nous avons sous les yeux n’entraîne en aucun cas la possibilité de préconiser une action. Même si celle-ci devrait tenir compte de la réalité, cette dernière ne constitue qu’une facette de l’affaire. L’action est essentiellement déterminée par l’objectif moral et/ou politique, domaines sur lesquels le chercheur n’a pas à avoir d’avis. Certes, il est un citoyen et a donc une morale comme quiconque, mais celle-ci ne peut en aucun cas perturber sa recherche.
4 – Enfin, agir réclame des paris sur l’avenir qu’est amené à effectuer tout responsable mais auxquels échappent les chercheurs exigeants; ils ont assez de peine à comprendre ce qu’ils ont sous les yeux pour ne pas se lancer dans d’hasardeuses divinations.
Et puis, peut-on concevoir un chercheur pousser à la guerre ? Ils n’ont pas manqué dans l’histoire à des degrés divers de Montandon[1] à Servier[2], mais ni la guerre, ni la science n’y ont gagné. Pourquoi ce pauvre Roland Marchal ne peut-il comprendre ces évidences ? C’est que la recherche rencontre la tentation d’accéder à la notoriété médiatique et que les pouvoirs la sollicitent y compris financièrement. Mais dans le domaine intellectuel nul n’est obligé de se prostituer même si chacun est amené à faire des compromis.
Un ami anthropologue qui connaît bien la région du Soudan me disait qu’il n’avait rien à dire sur les événements de Centrafrique. Dans le même souffle, il s’interrogeait sur la réalité des guerres de religion (puisque ce sont les termes utilisés) en France au XVIème siècle sur lesquelles il aurait aimé disposer d’une étude « scientifique » : nous ne savions pas si elle avait été menée. Lui, c’est un chercheur qui réfléchit mais qui n’intéresse pas les journalistes. En plus, il hésite. Pas Roland Marchal.
Bernard Traimond
[1] Montandon (1879-1944) important anthropologue, organisateur de l’exposition antisémite « Le juif et la France » en 1941. Il a été exécuté quelques jours avant la Libération.
[2] Jean Servier (1918-2000), spécialiste des Aurès ; il aurait fait le coup de feu contre les Algériens dès novembre 1954 avant de concevoir les harkis ; Camille Lacoste-Dujardin a consacré un livre à ses exploits : Opération « oiseau bleu », des Kabyles, des ethnologues et de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 1997.