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Docteur Sleep

Publié le 04 janvier 2014 par Lael69
Docteur SleepStephen King
Albin MichelTraduit de l'américain par Nadine Gassie Paru en Novembre 2013586 pages25 euros
Lors d'une séance de signatures, un lecteur a lancé "Hé, vous avez une idée de ce qu'est devenu le gosse de Shining ?" Danny Torrance et sa mère Wendy échappaient à la folie meurtrière de Jack, un père alcoolique. C'était un défi pour l'auteur, après le succès retentissant du premier opus et le film de Stanley Kubrick considéré comme le plus terrorisant d'imaginer une suite. Docteur Sleep rivalise t-il de terreur, de peur et suscite t-il autant d'enthousiasme que Shining (publié en 1977) ?
Le début de Docteur Sleep revient brièvement sur le cauchemar de Jack Torrance et l'après Overlook. On revoit Dick Hallorann, le cuisinier de l'hôtel qui lui aussi possède le Shining autrement dit le don de médium mais à un niveau plus faible que celui de Danny. Il noue avec l'enfant une amitié et une complicité pour aider Danny à faire face à ses visions effrayantes.
Danny Torrance est adulte et sauve in extremis une jeune adolescente de 12 ans Abra Stone d'une série de meurtres surnaturels provoqués par la tribu du Noeud Vrai. Danny n'a pas échappé à l'héritage paternel et plonge dans l'alcool, espérant ainsi noyé ses visions et son Don. Il mène une vie faite de violence, de sexe et de visions cauchemardesques. Arrivé dans une petite ville nommée Frazier, Danny arrive à remonter la pente en se présentant aux Alcooliques Anonymes et travaille en tant qu'aide-soignant à l'hospice de Revington. Il utilise ses dons pour soulager les mourants et les accompagner dans la mort. D'où le nom de Docteur Sleep et le lien fait avec le sommeil salvateur et l'apaisement. C'est là qu'il rencontre Abra Stone, en proie avec la Tribu du Noeud Vrai, un groupe de voyageurs non-humains, sorte de vampires-touristes démoniaques, qui se nourrit de la "vapeur", une substance psychique issue des enfants qui ont le Shining. Pour vivre éternellement, le rituel consiste à un meurtre sauvage de ces enfants. Danny n'a pas d'autre choix de venir en aide à la jeune Abra. Une lutte entre le Bien et le Mal commence...
Stephen King est un maître du genre fantastique. Son écriture alerte, efficace, parfois abrupte et provocatrice nous déroute et nous entraîne dans un tourbillon confus où le lecteur a beaucoup de mal à distinguer la réalité de l'illusion. Son écriture très visuelle et scénarisée crée des images hallucinées, entre visions d'épouvante, vapeurs d'alcool et effets de surprise. Il ne faut pas craindre le réalisme glauque des lieux, des décors, des pensées. Il ne faut pas craindre les visions poisseuses et dégoulinantes, les présences néfastes. Stephen King est incontestablement un maître en matière de scènes angoissantes. Mais comme dans tous les romans de Stephen King, il n'y a pas que de l'horreur et du manichéisme, il y a aussi une description juste et actuelle de l'Amérique profonde. Il en ressort beaucoup de psychologie, de critique sociale sous-jacente, de réflexions autour des thèmes chers à l'auteur : la différence, la notion de famille, l'enfance comme lieu et terrain d'expression de toutes les peurs, la force de l'esprit. 
On navigue entre télépathie et voyance, entre réalité et surnaturel dans un récit écrit pour nous divertir et nous faire frissonner. Docteur Sleep est un roman réussi entre conte fantastique, thriller psychologique et roman d'aventures. J'ai particulièrement aimé la manière dont il a su apporter une cohérence et une continuité à Shining tout en donnant à Danny toute sa place d'anti-héros et sa chance de rédemption. La boucle est bouclée : Danny à son tour transmet le flambeau à Abra tout comme l'avait fait Dick dans la fin de Shining. Et Stephen King achève avec Docteur Sleep l'histoire de la famille Torrance et nous montre que l'on peut échapper au déterminisme social et au patrimoine familial en se battant aux côtés de personnes normales et affectueuses. Une conclusion somme toute très humaine et loin de toutes les angoisses inspirées par le pouvoir de l'imagination.
Un grand merci à Marlène des éditions Albin Michel.

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