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Max | Le château en ruines

Publié le 06 janvier 2014 par Aragon

chateau-de-beaufort-1888.jpgC'était un château Renaissance, immense et beau comme le Vaisseau d'or de Nelligan, magnifique, incroyablement magnifique, il portait encore fièrement la splendeur de son passé malgré des stigmates réels et les affres du temps. Il était ruiné partiellement, murs et plafonds crevés, toit défoncé par endroits, planchers arrachés. Sa construction était assez incroyable car il y avait un double mur sur les quatre côtés, un premier mur très épais, un vide et un deuxième mur tenu par des poutres et des corbeaux de granit appuyés sur le premier.

Nous étions tous montés à l'étage les visages rosis par le vent qui soufflait en rafales régulières par le trou béant de l'immense emplacement de feue une double fenêtre. Nous étions nombreux et buvions du vin de Moselle et de vieux Tokay de Hongrie, c'était très agréable. Je pensais tristement que la réparation que j'aimais à envisager était impossible, totalement impossible. Même l'État n'aurait pu en prendre la charge. Le mal était irrémédiable. Une fortune de Golconde seule aurait pu remettre l'édifice sur pied, mais quel maître d'oeuvre s'en serait alors chargé ? Quel architecte aurait été capable de reconstruire, sur quels plans ? C'était impossible, on ne peut pas reconstruire des chefs-d'oeuvre, on ne peut que les contempler du temps de leur splendeur, assister en silence à leur ruine quand leur temps est passé.

Nous buvions du vin frais et les gens qui étaient avec moi, qu'il me semblait connaître, étaient joyeux et graves. Tout d'un coup j'ai vu ton geste comme en un ralenti, tu étais juste en face de moi. Ta main a heurté délicatement et sans le faire exprès le haut d'un verre à pied vide en fin cristal de Bohême. J'ai vu le verre basculer lentement, très lentement, si lentement sur son axe et frapper le rebord d'un lourd compotier en verre de Murano posé sur cette longue table de chêne patiné autour de laquelle nous étions tous à boire et deviser.

Tes yeux ont alors captés les miens, avant même que le verre ne se brise tu m'as dit que ce n'était rien et ce n'était rien en effet. Qu'un verre brisé, qu'une vie. Tu m'as dit que tu ne me reverrais pas, que tu allais partir, mourir un peu, t'en aller et je ne voulais pas que tu meures, je te l'ai dit en criant...

Quand le verre a heurté enfin le bord lourd du compotier tu n'étais plus là mais j'entendais encore l'écho de ta voix douce qui me disait que tu m'embrassais, que ce n'était pas grave même si tu avais espéré un peu plus de temps... qu'il avait été bon que nous nous fussions connus.

Je hais la mort et les cancers, ils chantent en permanence à nos oreilles de merveilleuses chansons qui n'eussent pas été désavouées par Circé elle-même...



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