Des rois et des reines

Publié le 06 janvier 2014 par Rolandbosquet

   Reçu, hier soir à l’heure de l’apéritif, la visite d’une délégation du Comité des Fêtes de mon village en la personne de son Président et de sa Secrétaire. Avec un grand sens du dévouement, ils ne ménagent pas leur peine pour animer la vie du bourg et tenir, lui, le tabac-presse et elle, l’harmonium de l’église paroissiale. Après les commentaires d’usage sur le mauvais temps, la vie chère et la difficulté de leur tâche, ils s’installent benoitement dans le canapé devant la cheminée. Voilà, commence mon visiteur, comme vous le savez, nous organisons chaque année le concours de fleurissement. Comme on vous voit régulièrement dans le journal et même (sous-entendu : consécration suprême) à la télévision, on a pensé que ce serait bien si vous en étiez le président du jury ! Le 14 juillet 1789, les Français ont pris la Bastille. La nuit du 4 août suivant, ils ont aboli les privilèges des nobles et du clergé. Ils ont écrit des cahiers de doléance et élu des députés, déclaré les droits de l’homme et du citoyen et créé une Assemblée Constituante. En un mot, ils ont fait toute une révolution. Ils ont même fini par décapiter leur roi et sa reine. Mais non seulement depuis ce jour fatidique du 21 janvier 1793, ils adorent plus encore celles et ceux des autres mais ils adorent aussi s’en fabriquer eux-mêmes de nouveaux. Et règnent ainsi régulièrement des reines du géranium et du bégonia et des rois de l’hortensia et de l’oranger du Mexique. En réalité, ils gardent au cœur la nostalgie de leurs têtes couronnées. Même si c’est pour mieux les décapiter l’année suivante. Et cette obsession remonte aux prémices même de notre ère ! Ainsi, il y a deux mille ans, trois voyageurs de commerce, se fiant à leur bonne étoile, décident un jour de vanter leurs produits, de la myrrhe, de l’or et de l’encens, auprès des habitants de la bonne ville de Bethlehem sise alors en Judée.En pénétrant dans les faubourgs, ils remarquent un attroupement de bergers devant une étable. Tout naturellement, ils s’arrêtent pour demander leur chemin.Ils découvrent alors un enfant nouveau-né couché dans une mangeoire. Attendris par le spectacle, ils félicitent la jeune mère et, en bons commerciaux qu’ils sont, lui offrent chacun un échantillon de leur marchandise. Il n’en faut pas plus pour que la tradition populaire les affuble d’une couronne de roi et du titre de mage. Et depuis cette époque reculée, on les célèbre chaque année dans nombre de foyers où l’on fait réchauffer une galette en leur honneur. En dépit de cet engouement, 1800 ans après cet épisode rapporté par les évangiles, le roi Louis XVI et la reine seront donc pourtant décapités. Le premier empereur Napoléon sera expatrié sur l’île de Sainte-Hélène. Le second sera exilé à Chislehurst en Angleterre. Le roi Charles X battra le pavé des capitales européennes à la recherche d’un logement à la suite de sa destitution. Pas moins de cinq républiques seront même proclamées par la suite. Et toujours en vain. On continue encore et toujours à célébrer les fameux rois mages, à vénérer des reines de beauté et à admirer des rois du cassoulet. "Il y avait une fois un roi qui était cordonnier", écrivait Henri Pourrat dans l’un de ses contes (in "L’Auvergne littéraire" n°115). On ajouterait aujourd’hui qu’il tenait boutique en la bonne ville de Tulle. Ayant un jour collectionné plus de fèves que les autres, il fut désigné pour tenir la boutique du Pays et s’installa dans un palais parisien digne des dieux d’Athènes et de Troie réunies. Et maints rois étrangers en montent à présent les marches pour lui présenter leurs doléances. Hélas, les temps changent malgré tout. On attribuait jadis aux rois le pouvoir de guérir les écrouelles. Lui se contente plus modestement de faire tomber la pluie. En temps de crise, on a les rois qu’on peut ! Car ainsi va le monde qu’il se transforme chaque jour un peu plus tout en tournant toujours sur lui-même.