Un épais brouillard, ce matin, engourdit mon courtil. Selon mon voisin Mathieu, la vallée tout entière est plongée dans une brume si intense qu’on y distingue à peine la pointe de ses chaussures. C’est du moins ce qu’il explique à notre voisin commun, Sébastien, arrivé en renfort pour sortir son 4x4 du fossé. « En réalité, ajoute-t-il, j’ai aperçu une ombre sur le bord de la route et j’ai freiné. Mes pneus ont glissé sur les feuilles de châtaignier. Et voilà… » Et il nous désigne son engin d’un geste fataliste du bras. Il ne nous faut pas longtemps pour le sortir du fossé et nous nous installons bientôt confortablement devant ma cheminée pour un café réparateur. « Ce qu’il faudrait, dis-je, c’est que la circulation sur nos petites routes de campagne soit mieux organisée. On peut à peine s’y croiser par beau temps. Alors, avec une visibilité réduite … ! » Sébastien nous explique avoir précisément réfléchi à un dispositif qui n’autoriserait les déplacements qu’un jour sur deux. « Par exemple, les jours pairs seraient réservés aux voitures et les jours impairs aux tracteurs et aux animaux. » Nous convenons d’un commun accord que cette réglementation ne serait en place que pendant les périodes de pluie violente, de grand vent et de brouillard soutenu. Mathieu remarque que ces restrictions concerneraient tout de même la plupart des semaines d’hiver, une grande partie de celles d’automne et un nombre non négligeable de celles de printemps. Il serait d’autant plus impératif de déterminer avec précision les jours sans et les jours avec. Le moyen le plus sûr serait de consulter, avant de partir, un brouillaromètre, un anémomètre ou même un pluviomètre. Sans oublier un baromètre anéroïde et un thermomètre à bilame ou à cristaux liquides. « Il y a plus simple, intervient Sébastien. Ils pourraient l’annoncer tout bonnement à la radio. Mettons à cinq heures du matin. Comme cela, tout le monde serait informé. » Oui, mais ! Imaginons que, par une nuit de vent fort ou très fort, comme ils disent à la météorologie nationale, des arbres se couchent sur une ligne à haute tension. L’alimentation des villages en électricité serait aussitôt interrompue. Votre radioréveil ne s’allumerait pas et vous ne pourriez pas entendre le bulletin d’informations locales. Vous croiriez pouvoir aller travailler en paix et vous partiriez l’esprit guilleret. Mais vous seriez en fait en infraction avec la loi. Vous risqueriez non seulement de vous voir dresser procès-verbal par la maréchaussée mais aussi de rencontrer par exemple l’ombre d’unchevreuilsur le bas-côté de la route. « Il faudrait rendre l’écoute de la radio obligatoire », reconnaît Sébastien. « D’ailleurs, ajoutai-je, l’émission pourrait être parrainée ; ce qui ferait une rentrée d’argent régulière pour la station ». Il n’est pas difficile d’énumérer une longue liste de "sponsors" possibles tels que les Organisations Syndicales d’Agriculteurs avec des financements du ministère et de l’Europe, l’Union Départementale des Garagistes Indépendants avec des aides du Conseil général ou l’Association des Chasseurs de Gros Gibier subventionnée par une grande marque de fabriquant de "crossover". « Il faudra en parler au maire », conclut Sébastien tandis que Mathieu s’extrait de son fauteuil. Il ne fait alors aucun doute qu’avec une telle mesure, le monde tournerait un peu moins mal. Forcément !