Hier après-midi, je me suis laissée aller à une visite d'un genre inusité me concernant : je suis allée chez un marchand d'animaux. "Je ne suis pas coupable, monsieur le juge !" En effet, une mienne amie m'avait envoyé, la veille, une photographie d'un adorable chaton, prétendument issu d'un improbable Arizona. L’œil vif, la moustache conquérante, les oreilles dressées, il avait tout du petit léopard, comme elle me l'avait décrit elle-même, d'ailleurs. Comme j'ai, on le sait, un cœur d'artichaut, je me suis empressée de détruire la photo jointe à ce message, consciente qu'il me fallait mettre une irrévocable distance entre cet animal et moi-même, entendez : entre cet adorable petite bête et mon désir inavoué mais ardent de l'arracher aux terribles barreaux d'une cage que je devinais insalubre, étroite, voire puante.
Or hier après-midi, je me trouvais pour un tout autre motif devant ledit marchand d'animaux et, prise d'une inspiration subite, j'y entrai. Ma petite voix intérieure me murmurait, bien sûr, de ne pas faire de folie : je suis toujours la gardienne du chat Lilou lequel, bien qu'il ne m'appartienne pas, compte sur moi - et d'ailleurs, sur la mienne amie citée plus haut - pour lui acheter les croquettes les plus chères du monde qu'il condescend à manger lorsque, vraiment, il ne peut plus faire autrement.
Mais j'entrai, malgré tout. Juste pour un coup d’œil. J'errai un temps entre les rayons, fascinée par ces mille et une choses que tout jardinier se doit de posséder, jusqu'à parvenir, au sous-sol évidemment, à l'animalerie. Quel mot horrible... Il y avait de multiples aquariums remplis de jolis poissons multicolores, des bacs de poissons rouges qui ne me parurent pas très agités et, au fond, quelques cages vitrées. Souris, rats, petits lapins, deux curieux animaux gris profondément endormis et dont les appellations me sont inconnues au point que je les ai oubliées, mais de chaton, point.
Tant mieux, me dis-je, ça va m'éviter de faire une grosse bêtise... La configuration des locaux m'obligea à passer devant les cages des oiseaux. Je déteste voir des oiseaux en cage. Je déteste, vous l'aurez compris, toute cage quelle qu'elle soit et pour quiconque. Mais je ne pus m'empêcher de remarquer, devant l'une d'elle, un jeune homme. Il était parfaitement immobile, le regard fixe et tendu. Devant lui, objet de toute son attention, une petite perruche bleue s'empiffrait avec application, perchée sur le bord de sa mangeoire. Il y avait, entre ces deux-là, comme le début d'une longue histoire. La perruche lui jetait de temps à autre une œillade assassine, comme pour l'aguicher un peu plus et, la bouche pleine, lui adressait alors un "tchip tchip" des plus prometteurs. Lui était comme un homme qui a invité une jolie femme au restaurant : ravi de lui découvrir un si bel appétit, ce qui signifie implicitement que la vie est là, qu'elle est belle et qu'on peut la découvrir désormais ensemble.
Dérangé par mon passage, le jeune homme s'arracha visiblement à contre cœur de son attentive observation, déclenchant immédiatement un "tchip" courroucé de la part de sa belle. Dans ses yeux, il y avait encore le bleu du plumage de l'oiseau, un bleu de ciel, de départ et d'aventure, un bleu d'azur et de liberté, de rêve, de chansons partagées et de vie à deux. Du coup, il se dirigea vers le rayon cages, où il entrepris de lui choisir un logement adapté, pas trop grand car somme toute, c'est plutôt petit chez lui, mais suffisamment spacieux pour qu'elle soit heureuse et ne s'y sente pas trop prisonnière. De toute façon, on le lui a assuré, il peut lui ouvrir la porte et la laisser voleter dans l'appartement, elle reviendra manger et dormir dans son nid.
Je quittai le magasin le sourire aux lèvres.