Sur les terres du "jamais jamais" #2

Publié le 11 mai 2008 par Gaspard_w

Hier, j'ai eu une petite altercation avec le nouvel homme de la vie de l'ex femme de ma vie.
Je l'ai croisé et je n'ai pas eu l'impression qu'il était content de me voir. C'est à dire que
je n'aurais peut être pas dû venir sur son île, c'est à dire que je n'ai pas vraiment eu le choix.
Hier, c'était soirée corporate, et il y avait un buffet. L'entreprise a l'américaine et sa grande
famille je m'en serais passé mais il était impensable que je me prive de nourriture gratuite.
Notre île à nous, elle est pas trop équipée soirée corporate, c'est surtout au niveau de la taille
que ça ne va pas. Pour tout rassemblement de plus de quatre personnes, on vient à manquer
de chaises et d'espace, du coup on s'installe chez les autres. Hier, on était une dizaine
et j'ai cru un moment que ce serait amusant, essentiellement parce que sur le bateau Yasu
avait dit "ça va être amusant". Je suis un garçon naïf.

Le début de la soirée a consisté à tout goûter, à tenter des mélanges. Le kiwi se marie très
bien au homard qui, lui, supporte mal l'ajout de crème anglaise. J'avais très faim, j'ai tout mangé
très vite, j'avais déjà le bar dans l'œil.
Au troisième service, Rifshan a dit "je vais être malade". On l'a laissé seul à table.

C'est entre le restaurant et ma première vodka que l'ai croisée. Comme elle me dépassait,
j'ai arrêté de marcher, je l'ai regardé passer. Je n'ai pas vu son visage mais j'ai reconnu
la courbure de son dos, les boucles de ses cheveux et le sourire qu'elle transporte. Comme
elle s'éloignait, j'ai dit son nom. Je lui ai souri, elle n'a pas bougé, le temps ne s’est pas mis
en pause et l'instant est passé. Mon remplaçant a rempli mon champ de vision.

Mon remplaçant, il porte de grandes lunettes, mon remplaçant il se fâche tout rouge et il
transpire beaucoup, mon remplaçant il pense que de lever le menton ça le rend plus grand.
Quand je parle de mon remplaçant, j'ai du mal a être objectif.
Il était très mécontent et je n’étais pas enchanté. On n’a pas eu la politesse de se serrer la main,
on n’a pas non plus eu le temps de se casser la gueule. On m’a pris, on m’a mis sur une chaise,
on m’a beaucoup dit "ça va ?" et j'ai beaucoup répondu "oui".

Un paquet de Menthol traînait sur la table et une vodka dans mes mains, j'ai trouvé qu'il était
temps de commencer à fumer, de me mettre à boire.
Mon remplaçant n'avait pas envie de me laisser tranquille, il parlait en agitant les mains,
et j'avais de plus en plus envie de lui présenter mes poings. Mon remplaçant, c'est un peu le
voleur de la femme de ma vie. C'est à dire que je l'avais laissée à l'abandon mais lui il me l'a prise.
Il a continué de parler, je me suis levé, j'ai fait le tour de ce qui pourrait le blesser et je le lui
ai dit, j'ai soufflé la fumée de ma cigarette sur ses lunettes, ça a embué ses carreaux,  il a dit
"ah ouais ?", j'ai dit "parfaitement" et je me suis tiré. Bien sûr, je suis un petit con, bien sûr, je
suis un sale mec, que tout me préserve de devenir un type bien, à trop devenir parfait on risque
de devenir chiant.

Autour de l'embarcadère, des gros poisson bleus à dos plat s'agglutinaient dans les flaques
halogènes des lumières électriques. Tout autour, il faisait nuit et dans un sourire elle m'a dit
"Pardonne mon humeur et tout le reste. Excuse aussi le temps qui passe, qu'est-ce qui ne
change pas ?", j'ai haussé les épaules et on n’a pas eu le courage de laisser s'installer le silence.
On a beaucoup parlé. Elle m’a raconté les fonds de l'eau, j'ai décrit mon île. Elle m'a raccompagné
au bar, on s’est pris dans les bras. J'ai dit "prends soin de toi", elle est partie. Je n'ai pas couru pour
la rattraper.

Ensuite j'ai beaucoup bu, ensuite je me suis caché dans la fumée de la piste de danse, j'en ai
aspiré de grandes bouffées qui m'ont fait tousser. A ma cinquième vodka, je me suis assis et j'ai
regardé les corps bouger, le dj a mis Love generation de Bob Sinclar, ça m'a rappelé une soirée
à Koh Tao. Je l'avais ramenée à moto, elle avait trop bu et dans mon dos elle disait des bêtises.
Elle me faisait rire.

Yasu m'a invité à rejoindre la chenille. Tout le monde était bien content d'être là. J'avais les yeux
vides mais comme tout le monde j'ai levé les bras, comme tout le monde j'ai crié. Une soirée de
plus au pays du "jamais jamais". Comme tout le monde, je me suis consolé en me disant
"C'est comme ça".

De retour sur mon île, avant de m'écrouler sur mon lit, je lui ai écrit un mail, juste une ligne :
"J'excuse assez facilement ton humeur, moins le temps qui passe".