Une pause dans notre histoire des blogs, et en même temps pas totalement. C'est par ici que j'ai pour la première fois rencontré François Perrin. Pendant trois ans nous avons été complices sur un blog collectif, Strictement Confidentiel – un établissement dont la porte était toujours ouverte et que perpétue aujourd'hui la grande Sophie K. Comme quoi, la grande époque n'était peut-être qu'un début.
C'est idiot, bien sûr - mais si ça fait de l'audience, après tout, ça les regarde.
Alors que vous le connaissez déjà, le meilleur bistrot de France : c'est celui qui est en bas de chez vous, ou juste un peu plus loin chez Machin - bref, celui où vous descendez parfois pour écrire un peu, lire, voir les gens, boire un verre, saluer quelqu'un, reprendre un verre, écouter les conversations, regarder la vie qui passe.
Ces bistrots-là ont leurs mythes, et bien sûr leurs écrivains : ils s'appellent Hemingway, Fallet, Jaenada, Blondin... Et maintenant François Perrin.
Bois sans soif, c'est l'histoire d'une ascension : celle d'un blanc-bec qui ne sait pas de quel bois il est fait, puis qui découvre celui dont on fait les zincs, et qui franchit les étapes, une à une et de part et d'autre du comptoir, du simple client au Professionnel Rassurant (en passant, entre autres, par le Client Mémorable et le postulant Sérieux) – lequel, au faîte de sa puissance, abdique sa personnalité pour ne plus incarner que ce que le client veut voir, arbuste pour l'un et baobab pour l'autre, planchette et poutrelle à la fois.
Bois sans soif, c'est le portrait du barman en super-héros, avec ses pouvoirs de vision périphérique et d'invisibilité, son oreille absolue, sa maîtrise du temps et du client gênant. C'est aussi une classifications des bars et des alcools (parce que vous n'êtes pas le même homme à la bière ou à la vodka), un portrait de groupe des clients du bar et des dialogues de fin de nuit (absurdes ou profonds ou les deux à la fois), une écriture de whisky sur la langue et une sociologie du houblon – la vie, en somme, dans l'espace réduit d'un boxon, mais dans toutes ses dimensions.
Ou plutôt, comme le résume Philippe Jaenada HIMSELF en (grande) préface : "on y apprend surtout, avec l'impression distrayante d'observer simplement une maquette, vue d'en haut, un petit bistrot avec des petites personnes dedans, on y apprend surtout ce qu'est la vie sur terre". Et avec la manière.
Vous pourrez lire Bois sans soif d'un seul trait ou par petites lampées, au choix. Vous le lirez dans un café, dans le métro ou au lit – j'ai testé les trois, et à chaque fois l'impression était la même, celle d'être transporté dans un rade avec François Perrin, avec le double plaisir de l'atmosphère et de la conversation, le style et le propos – en un mot, le bonhomme.
Et François Perrin, ce n'est pas n'importe quel bonhomme. Là comme ça, à brûle-pourpoint, je pourrais vous dire que c'est le genre de type qui ne bouge pas beaucoup (je veux dire : il ne file pas tous les quatre matins au Congo, à Caen, en Biélorussie ou aux îles Kiribati) mais qu'on a envie de suivre partout. Le genre de type aussi dont on se dit que le monde irait mieux s'ils étaient plus nombreux.
Un souvenir me revient en mémoire, là tout de suite. C'était il y a quelques semaines, une soirée dans un bar pour l'anniversaire d'un ami. Vers minuit, sortant sur la terrasse, on a trouvé un type effondré sur une des tables, immobile, la tête dans sa capuche, un sac au dos et un filet de bave aux lèvres – le type complètement cuit. Les consommateurs le regardaient en coin ou feignaient de l'ignorer, et je ne leur jette pas la pierre car j'aurais fait pareil. François Perrin, lui, s'est approché. Il lui a tapé sur l'épaule, ça va, gars ? , il l'a secoué pour le réveiller, a insisté pour qu'il boive de l'eau. Le type ne voulait rien, borborygmait et bavait encore mais François a continué, jusqu'à ce que l'autre, vingt minutes plus tard, boive enfin (sans soif) son putain de verre d'eau et se requinque un peu.
C'est ça, François Perrin : pas un héros, pas un saint – comme le narrateur de son livre, en fait : une sorte de super-héros du quotidien, dont les pouvoirs sont si simples qu'on les a oubliés, et qui donne envie d'être un homme, un peu plus et en un peu mieux.
En attendant, trinquons à votre future lecture, et à votre bar de quartier. Et si vous êtes du genre à prendre un premier verre juste pour goûter, vous pouvez aller voir cette autre anecdote, là. Je vous le dis : un barman ou un livre de François Perrin, c'est mieux qu'un super-héros. Un service public.
A la vôtre.