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Voyage au pays des papesses... par Geneviève Bertrand

Publié le 15 janvier 2014 par Angèle Paoli

Chroniques de femmes - EDITO

Camisoles 1

Ph. Daniel et Colette Vincent

VOYAGE AU PAYS DES PAPESSES... * Folles

Elles sont,
toutes,
folles
Bonnes pour le bûcher

Et leur âme et leur rire et leur ombre
habillés de camisoles
courent dans les escaliers, frôlent les murs,
jouent avec les araignées au plafond

et elles chantent…

« I do, I undo, I redo…. »

Le bûcher, il est en haut de l’escalier, installé par défi
et cette femme de bronze venue de la nuit des temps, agenouillée,
c’est toi, c’est moi, c’est toutes,
prêtes à être brûlées vives à l’entrée du palais femmes sacrées, femmes en travail, femmes déchirées, femmes à l’enfant,
femmes princesses, femmes en rupture
femmes trompées, femmes en plénitude…
on n’en finirait pas de vous nommer…


Détermination de femme à être, dire, attendre son heure
70 ans durant
humour, patience, conviction


C’est toi, Louise
« …cavalière ….seule… » — c’est ta devise —
hors toute idéologie totalisante,
ni mouvement ni féminisme
mais la conjuration de ses propres démons
devenus terreau de créativité


Éludée
la tentation de la mort dans la Bièvre


Recousue, la vie
Panneaux ciselés de dentelles, fragments bord à bord,
Dégradés de boue et de pastel


Le dur d’habiter son corps
Le douloureux des frottements internes


Alors
Habiller de tissus les silhouettes informes, couvrir le visage de perles
Peau sur peau
Enfanter un nouveau corps


Et la vie triomphante circule dans les veines et canaux
Vénus aux seins multiples
Maternités dessinées  aquarellées   traversées de sang
Ventres gonflés,
jusqu’à expulser tête première
une petite fille tressée – image miroir de la mère

Part charnelle de l’enfantement
comme le non-dit
des Vierges à l’enfant
posées là
au carrefour du temps L’araignée
ton animal tutélaire, Louise
Elle est mère protectrice qui chante les comptines de l’enfance, et de toujours Araignées
Omniprésentes noires gigantesques
qui___________ tissent____________ tapissent____________
pondent__________________ nourrissent_________________________
_______emmaillotent la maison dans ses bobines de fil rouge


Maisons comme mandala
où se trace le destin des petites filles

se joue  et déjoue  et se blesse le destin des femmes

« le père trompait la mère avec la nurse »

Restaurer l’édifice — étage par étage


Et la folie guette
Pays limitrophe aux frontières perméables


Corps comme arc tendu
soumis au désir autant qu’à l’hystérie
cette arche sculptée sur un lit d’enfant brodé de « je t’aime »
— monument immense, pesant, intransportable, insupportable
où crient l’angoisse, l’amour et le cauchemar

Là bas, dans la chapelle
une sculpture de Marie-Madeleine
Autre visage de femme et de chair

Qui saura la limite
Qui saura le gouffre séparant folie et extase mystique —
comme deux extrêmes opposés de la dépossession du corps


Tu l’as fait, jusqu’au bout,
le voyage de l’enfermement
Camille


Déni des proches  Violence médicale
Toute puissance d’une « ordonnance », pire qu’édit royal


Aucun ange ne te protège
si ce n’est celui blotti dans tes mains
qui caressent et lissent et modèlent
les corps froids

éclos de la pierre et du bronze


Corps et souffrance mis à nu dans le métal obscur
Visages à peine émergés de la terre cuite


Aucun espoir


Ossements  carcasses mises à mal
Corps de cire  suspendus comme boucherie chevaline
par Berlinde
Ossature, dépouillée de ce qui fut sa force
Pas de secours possible


Os devenus branchages lancés dans l’espace


La chair
dans sa transparence veineuse offerte en proie à la douleur
Chair à vif
sans condescendance  sans artifice  sans beauté
La chair
rien d’autre, face à la mort


Poids de souffrance
Plus d’une tonne de souffrance,
que ces deux corps suspendus très haut, à six mètres,
tels des Christs sans croix


L’effroi du réel  sans masque
à l’œuvre à l’envers de la peau
jusqu’au morbide


Travail de l’obscur
La matière mise au jour  agrandie à la puissance mille  objectivée


La fragilité  le tourment en creux  la décomposition possible
Menace sans détour


Oser aller jusqu’à l’absence


Tes tapisseries émergent de la pierre grise :
Kiki Smith perpétue le métier éternel de tisserande
Cosmogonie fondatrice, création du ciel et des étoiles,
figures originaires d’Ève et de Vénus

Et l’animal, si proche par instinct, de la nature,
se mêle aux fils de soie, à la brillance des fils d’or et d’argent
Lapins  Scarabées  Fourmis…
Le loup et l’aigle sont présences nobles et sauvages Vierge à la pomme d’or derrière une vitrine
Mystère de la fécondité et de la vie
Célébration venue des origines


Tu tentes cette même saisie de l’absolu, Jana
Pomme d’or devenue verres soufflés   Même perfection sphérique


Globes couleur d’ardoise, d’ocre, de nacre
qui recueillent la lumière à leur surface
Transparence du vide


On entend la musique des sphères
On se promène dans le ciel venu à notre mesure

Là où l’artiste devient mère de l’univers
Dépassant ses propres limites


Geneviève Bertrand
D.R. Texte Geneviève Bertrand,
décembre 2013



___________________________________
* Texte en écho à l’exposition du Palais des Papes d’Avignon qui a réuni (du 9 juin au 11 novembre 2013) 5 artistes femmes de l’art moderne et contemporain (Louise Bourgeois, Camille Claudel, Kiki Smith, Berlinde de Bruyckere, Jana Sterbak), dont le travail est mis en correspondance avec certaines œuvres de l’art médiéval.
Nota : ce texte ne se veut nullement un compte rendu exhaustif et critique de cette magnifique exposition mais une mise en dialogue avec ce qui m’a personnellement le plus interpellée.

Camisoles 2

Ph. Daniel et Colette Vincent


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