Les Fusillés #1 : Les paupières cousues
Publié le 15 janvier 2014 par YannbourvenParis, l'hiver, un jour figé, le même, toujours le même, rien n'est détruit, tout est en place, la torture mentale tourne à plein régime, 14h :Allan Beffroi s'est levé de mauvaise humeur, il s'est motivé, debout, lève-toi, c'est ça, il a bu un litre de flotte et l'a dégueulé dans l'évier, il faut ABSOLUMENT fuir ces murs jaunis sur lesquels sont projetés ces rêves sordides et tendus qui se succèdent, ces rêves qui m'ont cousu les paupières, satané studio en lambeaux, satané tombeau profané par mon double en transe, et merde, habille-toi, voilà, et sors d'ici, c'est ça.Il a descendu en trombes les escaliers de son immeuble, puis s'est assis à une terrasse rue Biot, près de la place de Clichy, mais, contrairement à quelque illustre ancêtre il ne s'est pas posé là pour finalement se lever afin de s'enrôler dans l'armée, ooooh non, lui il a juste commandé un double expresso très onéreux : enfoiré de merde, c'est ma faute, j'ai oublié d'acheter du café, j'ai tellement la flemme de me trémousser comme une tapette dans les rayons glacials de ce supermarché javellisé, t'iras demain Allan, et refaire ta carte Vitale, t'iras demain, aussi, Allan de Pocrastie, j'ai sur moi une carte de mort-vivant, demain il fera jour connard, en plein hiver, encore ! Allan Beffroi avait la tête becquetée par des piranhas translucides ( la veille, il avait fait un extra dans une brasserie rue de Belleville, le boss l'appelait régulièrement, puis il avait rejoint des potes et ils s'étaient rendus, braillant buvant fumant, dans une soirée techno minimale dans un squat que l'on nommait « 2A » près de Saint-Denis ), vieille tête dont les cervicales craquaient en cadence devant des passants qui toussaient des insultes anti-système, des passants qui restaient tout de même un peu trop voûtés et résignés pour être honnêtes, que d'la gueule ces bâtards, bien évidemment. Il morflait, Allan, couché sévère à 9h du mat, cuit, comme le rat vociférant qu'il demeurait, j'ai bien fait d'avoir programmé l'alarme de mon portable, j'aurais loupé mon extra de dix-sept heures sinon, déjà que je manque de cash, pas moyen de m'acheter un putain de paquet de Lucky, manque 1 euro 20, claque tout dans la drogue et la vodka, c'est ça, continue pauvre trou du cul... Rêves sordides qui se succédaient. J'ai les paupières cousues !Rêves sordides qui se succédaient. Allan Beffroi était toujours là, cette vie de chien ne s'arrêterait pas, cette ville-chienne non plus, si elle avait pu se figer le temps d'une journée, cette ville, il l'aurait dépouillée de tous ses trésors, statues, bijoux, billets de banque et les cambrures de ces fameuses Parisiennes délurées, j'ai le temps de rien faire, si j'ai le temps mais je fous rien, des projets, envie de scénariser des mouvements et des flux de personnages en torrents, mais rien, animal à la ramasse, faudrait lécher la vie, je parle de vraie vie, boire les cauchemars, retranscrire la beauté planquée dans ces décors en carton-pâte, mais je reste moitié zombie scotché devant ce bus klaxonnant, ce café refroidi, ce serveur-pingouin bête à bouffer du foin, faudrait remonter chez moi, prendre le temps, essayer d'écrire, non, hein, alors ? Allan Beffroi n'avait jamais rien foutu de sa vie, il avait juste écrit et publié des livres, mais dans ce monde ça ne compte pas. Mes engins. Mes engins réels mais à l'arrêt, invisibles, trahis par le marché. Mes petits monstres. Vous allez rouiller si vous ne partez pas en mission mes avions de chasse ! Vivement la guerre ! Vivement que je balance mes bombes chimiques sur ces villes automates, il se disait ça parfois, sans trop y croire... Me vautrer sur mon bureau, étincelant, tandis que mes doigts experts cartonneraient le clavier de l'ordi en charge, dans mon studio les livres s'effacent, faut se reprendre, faire des week-ends, ailleurs, voyager, partir, tout noter, Paris s'est endormi, et ça fait un bail, il faut re-dérégler cette ville, qui est sur le point de me digérer...Il a payé, et a décidé de ne plus repasser à l'appart... Je vais errer, en saboteur. Les paupières cousues, pour le moment....