J’ai longtemps cherché de mauvaises excuses pour plein de choses. J’ai longtemps bavé sur ce que les autres faisaient. Les enfants sont le prétexte tout trouvé à tout ce qu’on n’a pas l’envie ou le courage de faire. J’voudrais bien, mais j’peux point, la belle affaire. Et puis un jour je me suis réveillée, et je me suis souvenue que mon foyer était doté d’un accessoire formidable pourvu de deux bras, deux mains, une tête bien faite et un corps de rêve (le salaud) : le Jules ferait un excellent babysitter.
Je lui ai piqué son sac et ses lunettes (vu qu’il avait perdu les miennes hein). J’ai comparé l’offre et ma demande. Le Jules m’a poussée dans le dos encouragée plein de fois quand il fallait. J’ai fini par me jeter à l’eau, au propre (j’ai pas zappé la douche) comme au figuré : je suis allée à la piscine sans enfants. Le truc de dingue qui n’a pas dû m’arriver depuis dix ans (on a les dingueries que l’on peut, certes).
A la première longueur, j’ai travaillé mon slalom. A la seconde, j’ai évité la collision frontale de justesse, rapport à l’eau dans mes lunettes. Enfin, dans les lunettes du Jules.
A la troisième, j’ai changé de couloir.
Au bout de la cinquième, j’avise un écriteau « réservé aux nageurs avec matériel ». Je décide que le couloir étant vide, les lunettes du Jules certes prennent l’eau, mais c’est du matériel.
A la septième, non, neuvième, merde, quelqu’un a-t-il un jour réussi à compter les longueurs sans se planter ? Bref, j’ai un point de côté. Je décide de l’ignorer superbement. Je ne sais plus où j’en suis question longueurs, alors je décide que je nagerai une heure.
Trois minutes après, je me dis qu’une heure c’est vachement long quand on n’a plus rien à compter.
Cinq minutes plus tard j’ai de la compagnie dans mon couloir. Une salope fille en bikini et un monsieur rondouillard. Que je double toutes les trois longueurs, c’est bon pour l’ego.
Deux minutes plus tard, un mec débarque avec masque et tuba. Très bien. J’attends qu’il s’étouffe, ça ne lui prend que dix minutes, exit.
Au bout de trente minutes, je m’offre une pause de deux minutes. Dans le bassin d’à côté, c’est l’heure de l’aquagym. Donc de la musique à fond. Cool. Je redémarre, double Papi, tente de rattraper Miss Monde, rien ne m’arrête plus. Je suis tellement heureuse d’être là que je souris bêtement et je bois la tasse. Oublié le point de côté, oubliée l’eau dans les lunettes (j’ai serré comme une maboule), oublié le nombre des longueurs, j’attends juste l’heure en nageant en rond comme un poisson dans un bocal de vingt-cinq mètres de long.
Une heure. Je dois donc avoir nagé plus d’un kilomètre sans presque m’arrêter, je bombe le torse dans mon maillot rouge, et je sors de l’eau en enlevant mes lunettes. Faut jamais abuser des bonnes choses. Je dois leur manquer vachement, à la maison (ah, ah, ah).
C’est rigolo de n’avoir à gueuler après personne pour qu’il sorte de l’eau, ramasse sa serviette qui traîne dans le pédiluve, daigne se laver avant d’avoir reçu son goûter, cesse de transformer la douche en Titanic, arrête de jeter ses chaussettes par-dessus les murs du vestiaire. Je suis tellement dé-ten-due que même l’idée me fait marrer.
Jusqu’à ce que je croise mon reflet dans le miroir.
Oubli du peigne à la maison : mauvais plan.
Oubli du démaquillage : très mauvais plan.
Emprunt des lunettes du Jules serrées à fond : très très mauvais plan.