AUDIO. Liban: j’étais hier soir sur la Voix de la Russie, pour commenter l’actualité

Publié le 22 janvier 2014 par Menye Alain

Par Françoise Compoint

Drapeau libanais/ Photo : EPA/Youssef Badawi

Dans une récente analyse publiée sur les pages du Réseau Voltaire, Thierry Meyssan s’interroge sur les véritables motifs qui ont poussé l’Arabie Saoudite à octroyer au Liban trois milliards de dollars en équivalent d’armements français. Pourquoi une telle générosité sachant que le Hezbollah, mouvement de résistance crée en 1982 suite à l’invasion israélienne du Liban, a toujours joui du soutien plus ou moins tacite de l’armée régulière tout en n’obéissant directement qu’au guide suprême de l’Iran, l’Ayatollah Khamenei, ennemi juré du sunnisme saoudien ?

Si l’interaction fructueuse Armée-Hezbollah était jusqu’alors avérée, du moins à partir de l’ère Ahmadinejad, il semble maintenant que leurs relations se gâtent vu le côté girouette de Michel Sleiman, président de la République libanaise, dont on sait qu’il est entré en fonction par l’entremise de l’émir du Qatar et conformément aux intérêts de Paris. Il est à préciser que M. Sleiman ne pouvait être élu par le Parlement en vertu de l’article 49 de la Constitution stipulant que tout magistrat ou fonctionnaire de première catégorie ne peut être élu lors de l’exercice de ses fonctions et durant les deux années qui suivent la fin de son mandat ou sa démission. Si donc il a fallu passer outre aux normes constitutionnelles, c’est que l’enjeu en valait bien la peine.

Ce qui de surcroît met la puce à l’oreille, c’est la focalisation assez préoccupante de Ryad sur les succès du Hezbollah. Nous apprenons ainsi que la banlieue sud de Beyrouth vient d’être secouée par un attentat perpétré contre l’un des fiefs de la résistance chiite, sans doute un galop d’essai vu l’importance de la somme transmise par Ryad et ses ambitions. Comme en géopolitique un objectif en dissimule le plus souvent un ou deux autres (tactique du jeu d’échec) et que la visite de M. François Hollande à Ryad la veille du Nouvel An débordait du cadre d’un simple échange de salamalecs, il faut supposer que la France avait aussi sa part de gâteau à se mettre sous la dent. Selon M. Meyssan, il est établi que les 3 milliards de dollars en question ont été partagés en bonne et due forme entre du moins Michel Sleiman et le Trésor public français. Le du moins signifie ici que selon M. Meyssan, il n’est pas certain que François Hollande ait accepté la part qu’on lui aurait proposé et qui aurait normalement dû être proportionnelle à la somme acquise par le président libanais. Cette répartition dont le Trésor public de notre pays est en fait le premier bénéficiaire tient au dédommagement de la France du coût de son implication dans la désagrégation de la Syrie, cela depuis 2010 (fait en outre confirmé par Roland Dumas, pour la première fois en juin 2012 in Dans l’œil de Minotaure). Qui plus est, fournissant des armes à l’armée régulière libanaise, la France participe à la division de cette même armée, chose qui commence par l’éloignement de cette dernière du Hezbollah. Cette division coûte elle aussi un certain prix, autant que la formation des officiers qui suivra les réformes envisagées.

Quelles sont les parties gagnantes ? Bien sûr, à moyen ou plus ou moins long terme Israël qui rêve de voir la dissolution du Hezbollah, son cauchemar depuis voilà trente ans. Ensuite les pétromonarchies, réservoirs d’un sunnisme radical véhiculant l’idée d’un immense califat planétaire assujetti aux impératifs de la Charia. On s’imagine sans peine que les jours de l’armée libanaise en sa qualité d’ensemble multiconfessionnel sont comptés. Paris aura quant à lui gain de cause en se faisant premièrement rétribuer, deuxièmement en contribuant à l’affaiblissement de la Syrie au-delà de son projet raté d’intervention directe dans la mesure où le démantèlement du Hezbollah aura un impact sensible sur le nettoyage du sol syrien des éléments terroristes qui y sont encore à l’œuvre. Enfin, c’est Shimon Peres qui sera content de M. Hollande.

Ce tableau factuel dressé, je me suis adressée aux lumières d’Allain Jules, journaliste indépendant et politologue dont le blog représente une alternative fort intéressante aux infos chloroformées du mainstream médiatique.

La Voix de la Russie. Reprenons la question qui a été posée par Thierry Meyssan dans l’un de ses derniers articles intitulé Le silence et la trahison qui valaient trois milliards de dollars: pourquoi l’Arabie Saoudite a-t-elle décidé d’équiper l’armée libanaise à hauteur de 3 milliards avec des armements français tout en dénonçant des semaines durant la confrontation qui existerait entre l’Armée libanaise et le Hezbollah. Si collusion il y a, peut-on considérer que ce don sans précédent vise en réalité à intimider un Hezbollah de plus en plus hostile à Israël ? Mais il faudrait alors admettre que l’Arabie Saoudite rallie cette fois ouvertement ses bannières à celles d’Israël ? Qu’en pensez-vous ?

Allain Jules. « Les choses sont claires. Oui, au Proche-Orient et au Moyen-Orient, le meilleur allié d’Israël, aujourd’hui, c’est l’Arabie Saoudite. On le voit ainsi à l’image de ce qui se passe en Syrie et à l’heure actuelle à l’image de ce qui se passe au Liban. Le financement en armements français accordé par Ryad à Beyrouth est au fond une promesse assez creuse car destinée à intimider le Hezbollah qui soutient le régime de Bachar el-Assad. C’est ainsi qu’en cas de démantèlement de la branche de la Résistance libanaise, les djihadistes éparpillés à travers la Syrie pourront librement reculer jusqu’aux frontières libanaises, voire gagner le Liban sans rencontrer d’obstacles. Plus largement, ce qui se passe actuellement au Liban est une incitation flagrante à une guerre civile, ce qui est une mesure revanchiste intervenant en réaction à la défaite de plus en plus incontestable des radicaux sur le sol syrien. »

LVdlR. Toujours selon M. Meyssan, Ryad voudrait acheter le silence libanais en gratifiant Beyrouth d’une somme assez grassouillette. Silence par rapport aux centaines de victimes du terrorisme saoudien au pays du Cèdre, silence sur la trahison française quant à la déstabilisation de la Syrie depuis 2010. Si le deuxième point semble clair, on se demande pourquoi l’Arabie Saoudite éprouverait quelque cas de conscience que ce soit par rapport aux cent victimes en question comparé aux exactions qu’elle commet quotidiennement. Qu’en pensez-vous ? Y-a-t-il véritablement volonté d’acheter Sleiman sur ces deux points ?

Allain Jules. « Tout à fait. Cette tendance s’était déjà mise en place sous Saad Hariri qui avait été acheté par les takfiristes. Au seul motif qu’il entendait combattre le Hezbollah, le chasser du Liban, ce qui est très grave. Le mouvement du 14 mars illustre très bien cette aspiration délétère nuisant aux intérêts de l’Iran et de la Syrie, cela, fort malheureusement, avec la complicité de certains Libanais. L’Arabie Saoudite achète des gens tels Hariri ou les activistes du 14 mars pour que ceux-ci passent sous silence les ignominies commises en Syrie. Le TSL (Tribunal spécial libanais) a lui aussi été mis en place pour handicaper le déroulement de Genève 2. Il est donc triste de constater qu’une certaine partie de l’élite libanaise se met au service de Ryad».

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Commentaire de l’auteur. La politique de girouette menée par Michel Sleiman explique on ne peut mieux la position très floue de Beyrouth quant à la tragédie syrienne de même que les bombardements occasionnels effectués par Israël depuis la frontière libanaise. Ceci dit, il est non moins clair que le cabinet de Sleiman se tire une balle dans la jambe sachant que les USA commencent à se désintéresser des monarchies du Golfe en acquérant une indépendance énergétique croissante, facteur décevant pour Ryad qui verra sa fortune crésusienne en pâtir, sachant ensuite que la Syrie d’ Assad est promise à renaître de ses cendres, sachant enfin que l’accord conclu avec l’Iran et relançant la prolifération nucléaire au Moyen-Orient renforce les positions de l’Etat chiite à l’insu des Séoudes. Tout cela sans compter le fait que l’enthousiasme de M. Sleiman est largement freiné par le Parti démocratique du pays en la personne du prince Talal Arslane, mécontent du tournant pro-Ryad du président libanais.

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Rendez-vous: je suis sur la radio francophone iranienne ce soir, pour parler de Genève II.