Hexakosioihexekontahexaphobie et administration publique territoriale

Publié le 12 septembre 2012 par Jcr3

J'aurais dû m'en douter, ça me pendait au nez. A force de le traquer c'est lui qui me trouve... J'espérais la rémission, la résorption, la guérison. Mais voilà, j'ai mis un pied dedans, c'est le bon!*

Faut dire j'avais rendez-vous, chez lui, à Babylone. Pour concrétiser un rêve de semeuses (voyez ce billet), il me fallait renouveler ma carte d'identité. Celle-ci étant périmée depuis 2009 ayant été délivrée en 1999.

Je l'aimais bien cette carte avec ma tronche d'africain comme me l'avait jeté un ami Casamançais, moi qui suis plus proche du type irlandais, la comparaison m'avait plu, faisant référence aux Commitments (''nous autres les irlandais nous sommes les africains de l'Europe...'' de mémoire)

Mais c'est pour une autre raison que je l'aimais cette carte n°: 991156... émise dans le Morbihan (56 > 5+6=11) en Novembre (à la fois 9-Nove et 11e mois du calendrier) 1999, valable jusqu'en Novembre (9 &11) 2009.

Depuis ma tendre enfance les chiffres 1, 9 et 11 me sont associés pour être né un premier septembre - dont je vous laisse deviner l'année mais le total des deux derniers chiffres est égal à 11. En clair, tous les dimanches mes parents jouaient 1/9/11 au tiercé - et n'ont apparemment jamais gagné. Aussi cette carte couverte de 9 et de 11 me causait dans ma langue maternelle.

Avec les attentats du 11 septembre, la combinaison a pris une dimension mondiale et a marqué le début du Monde d'Après ! Je m'étais senti concerné plus que d'autres, peut être. Pour une fois qu'il rentrait, même dans le désordre, c'est nous qui allions payer...

Ceci dit, il fallait que je me débarrasse de cette carte au profit d'une autre, valide, avec des empreintes et ma nouvelle tronche de barbu. Je me tire le portrait vite fait à la maison, j'enfile une chemise blanche, je vérifie que j'ai tous les documents, direction la mairie, retirer une demande de renouvellement de carte d'identité. Jusque là, tout se passait bien.

J'arrive aux locaux annexes de la mairie, je pénètre plusieurs sas, dis bonjour à la dame et descend d'une enjambée les quelques marches. Il n'y à pas grand monde mais je dois quand même tirer un numéro de passage.

Tiens, 999, encore des 9... 99 en fait, le troisième larron restant en blanc. Oh, p***, si je le retourne, ça fait...

Une crise aigue d'héxo, hum, kexu, ach, hexa-kosioi-hexe-konta-hexa-phobie  me terrasse. Je ne laisse rien paraître et reste debout, pourtant je suis complètement terrassé à l'intérieur.

Rien d'étonnant de trouver ce nombre, le nombre de son nom ici, dans son antre. L'antre de la bête, autrement connue sous le nom d'administration publique territoriale!

 

J'aborde la meuf à l'accueil, la deuxième après celle qui est reléguée à l'entrée :  

- Formulaire de renouvellement ?

- Deux photos, justificatif de domicile ?

- Voilà...

- Euh, attendez...

Elle dégage des jambes interminables de dessous son guichet et se dandine jusqu'au bureau voisin, mes photos à la main. Je carbure vite fait: Non je n'ai plus de casseroles, je ne suis pas recherché, je ne dois rien... Vu la moue réprobatrice de celle qui doit être un chef dans l'organigramme, je comprends qu'il va falloir revenir...

- Euh, les photos ça va pas aller, vous souriez, faut pas sourire !

Pas de sourire?

C'est vrai, qu'il n'y a pas de quoi se marrer mais la gueule obligatoire, c'est pousser un peu!

Sans doute ne veut-on pas prendre le risque que l'agent qui vous demande vos papiers, vous trouve sympa, des fois qu'il lui viendrait un élan de sympathie... Là, aucune chance, la double gueule: au contrôle, en live (normal) et en double sur la carte... On n'est pas là pour s'amuser, Monsieur !

Alors je me rends compte qu'une étape de plus a été franchie dans l'Orwelisation générale du quotidien. Je coince cependant un sourire poli, je remballe mes photos.

- Pis, le justificatif de domicile est pas valable.

- Pourtant l'adresse de facturation du téléphone portable ?

- Ah-wai-mê-non, c'est que pour les passeports...

Mon sourire poli et moi, on ramasse tout et on se casse.

J’investis un Photomaton™ pourri mais pourtant accrédité, et là, pour le coup, je n'ai pas à me forcer pour tirer la gueule. Je rentre chercher un avis d'imposition. Et le temps de rassembler les pièces diverses l'annexe de la mairie a fermé ! Je m'étais préparé à ce genre de mésaventure aussi je n'en suis ni étonné ni tellement agacé.

Je conserve cependant précieusement mon ticket hexakosiohexekontahexaïque pour ne pas oublier où je dois me rendre de nouveau le lendemain.

Cette fois les pièces conviennent, je retire le formulaire, chausse mes verres et commence à noircir les cases. J'invente les dates de naissances de mes parents, parce que je ne reviendrais pas une troisième fois, et passe au bureau numéro trois, l'air de rien, à l'invitation d'un géant chauve.

J'ai remarqué qu'il existait une forme d'antipathie naturelle entre certaines personnes, je l'ai, personnellement, souvent, vérifié en face de sportifs. Ce fut le cas avec cet agent de l'administration publique territoriale.

J'ai coincé mon sourire poli, je l'utilise beaucoup dans ce genre de situation, et observé avec attention chacun de ses gestes. Grand, complètement glabre, épais comme un cantonnier, ses grosses mains curieusement manucurées manipulaient maladroitement les diverses fournitures.  

- Signez ici. Vous avez les photos ?

Il n'a pu réprimer un léger mouvement de surprise en les saisissant, ni retenir un rictus visiblement moqueur. Je fais mine de rien. Je ronge mon frein. Il est sur son terrain, dans le ventre de la bête, son urètre serait plus juste.

En attendant, je prends mon élan sur son crâne d’œuf et lance mon regard tout autour de l'espace ou nous nous trouvons. Pas de cloisons, divers éléments qui composent des canapés, des tablettes, quelques guichets et une équipe presque exclusivement féminine.

Par intermittence des nuages de tabagie empuantissent l'espace, ce qui visblement, énerve le contractuel, j'ai comme l'impression que je l'empêche d'aller fumer sa clope, c'est donc pour cela qu'il est tendu !

Je comprends mieux l'état d'esprit de mon cantonnier qui, bien qu'il arbore un magnifique polo rose, aurait sans doute préféré casser des cailloux en équipe au bord de la route, avec ses semblables, les hommes forts. Les copains qu'il retrouve au stade le dimanche après midi, sur le terrain ou dans les tribunes. Je suis convaincu que ces mains aux ongles limés attrapent parfaitement les ballons ovales.

Et moi qui ne lime' que mon vin blanc! On n'avait peu de chance de se croiser un jour, sinon ici.

- Empreinte de l'index droit.

Le Jaques Seiler municipal me sort de ma rêverie et me tend un scan. à empreinte digitales, il aime cet outil, ça se voit à ses gros yeux gourmands. Il est touchant dans le fond tout serré dans son polo rose. Bah, il est pas si méchant. Il se sent juste un peu gêné aux entournures. Au milieu de toutes ces donzelles, je ne le serais pas moins.

Il se recule dans son siège et semble s’apercevoir que j'attends toujours...

- Revenez la chercher dans un mois !

Un mois, mais c'est très long...

- Avec le récépissé, c'est important...

Rhâââ, Babylone, Babylone! Babylone, tu déconnes...


*in memoriam Mathieu Mitsinkides