Proclamation de la Commune, partie 2 (Commune 16/24)

Publié le 26 janvier 2014 par Deklo

Anri Sala - Title Suspended

  Précédemment, on a vu les élections et  la fête sur la place de Grève pour accueillir la Commune...

  Le 28 mars, le Comité central remet ses pouvoirs[1] à la Commune et remplit le « dernier terme de son mandat en se retirant »[2]. Tandis que la foule déborde la place de Grève, les rues autour, les immeubles, jusqu’aux mansardes, jusqu’aux toits, sauf les fenêtres des premiers étages, qui restent closes[3], pour saluer les élus de la Commune, à l’Hôtel de ville on s’affaire.

  Les élus trouvent un bâtiment où la vie ne sait plus se reposer : des gardes qui récupèrent de leurs nuits sans sommeil dans la cour intérieure, sur les escaliers, dans les couloirs[4] ; des officiers, des hommes en mission, qui s’arrêtent quelques minutes pour manger quelque chose[5], avant de repartir déjà sans avoir fini ; des tasses et des tasses de café sur les tables, les bureaux, sur toutes les surfaces planes ; des armes posées ici, là, partout ; et une rumeur énervée qui ne sait pas, qui n’a pas le temps de trouver le calme. Seuls les gardes, intimidés[6] par les dorures, mais surtout émus, ahuris d’avoir sous les yeux quelque chose qu’ils ne savent pas reconnaître tout à fait pour en avoir tellement imaginé les contours et tant de fois pressenti le goût, en 1830, en 1848…, la révolution, gardaient le silence, de leurs voix, de tous leurs corps, dont les gestes étaient faits pour ne pas en déranger le cours [Note : revoir cette phrase qui pourrait être plus claire…].

  Ils croisent aussi des solliciteurs, des patrons, des « hauts commerçants », de « gros industriels »[7], venus demander qui un laissez-passer, qui une dérogation quelconque, un passe-droit, une faveur, toutes ces requêtes, dont le traitement accapare forcément la journée des élus… stupéfiés de ne pas trouver là, face à eux, les assassins qu’ils s’imaginent, mais des hommes qui les reçoivent, les écoutent, les arrangent[8], leur sourient parfois et les laissent repartir en vie.

  Rien n’est fait pour accueillir les élus. Ils discutent avec des sentinelles pour qu’on les laisse passer ; errent « au hasard »[9] à la recherche d’une salle où se réunir ; et appellent un serrurier pour leur ouvrir les portes dont personne ne retrouve les clefs[10]… [Note : cette surprise d’élus qui perdent « des journées à rechercher les choses les plus simples, cachées à dessein, enlevées souvent »[11] offre le prétexte à Arnould d’une réflexion sur la façon oligarchique du pouvoir, où « à l’exception des employés de l’état et d’une coterie d’individus toujours les mêmes qui se repassent les ministères, nul, en France, ne peut s’initier, s’exercer à la vie politique… » et de déduire : « Ainsi s’explique qu’après chaque Révolution les mêmes hommes reviennent au Pouvoir… »[12].] Au moment où ils s’installent dans cette salle de réunion qu’ils vont presque habiter désormais, pressentent-ils le poids immense d’une tâche que toutes leurs épaules ne peuvent pas suffire à porter ou remarquent-ils la poussière[13], le manque de lampes[14], le désordre et les visages, certains familiers, amicaux, d’autres encore inconnus, de ceux qui les entourent ?

  [Note : S’arrêter sur le rôle du Comité central, maintenant qu’il a rendu ses pouvoirs. Remarquer que le Comité central conserve la direction de la Garde nationale. Relever que les contours des pouvoirs respectifs du Comité et de la Commission militaire de la Commune font l’objet d’une discussion[15]. L’idée qui se dégage veut que le Comité reste chargé de l’action militaire tandis que la Commune s’attache aux choses politiques.

  Noter que, parmi d’autres, Arnold met en garde sur la confusion qu’il y aurait à voir une commission militaire annuler l’action du Comité…

  Par curiosité, relever que des documents retrouvés au ministère de la guerre[16] éclairent sur la façon dont on se représentait l’organisation de la chose. On ne veut pas d’un général en chef. On imagine plutôt désigner un général pour une action ou un service précis dont les fonctions commencent et finissent avec cette mission. S’il est désigné par le Comité, il est « constamment révocable par la Commune ».

  S’arrêter encore sur ces tensions entre le Comité et la Commune. Noter qu’Arthur Arnould, dès la passation de pouvoirs, remarque : « après avoir montré un grand désintéressement et une grande habileté, tant qu’il avait été le seul au pouvoir, dès que la Commune, dont il avait assuré la nomination, eu revêtu une forme tangible et fut devenue un fait, le Comité central prit une allure toute différente. »[17]. Il parle de « petites passions personnelles », de « désirs de rivalité » et conclut : « Le devoir accompli les laissa maussades ». Rappeler que cette opinion vient d’un membre de la Commune, avec l’injustice que le malentendu, la distance provoquent parfois… On a vu aussi que le Comité avait eu moins d’élus que ce qu’il escomptait…

  Dans les procès verbaux des séances tenues par le Comité, on peut lire aussi l’inquiétude tout au long de la Commune : à la séance du 12 avril, tel membre considère que « la Commune n’a aucune estime pour le Comité central »[18] ; « les empiètements de la Commune » effraient tel autre membre, peut-on lire à la séance du 16 avril[19] ; tel autre, au cours de la même séance, dit connaître « le désir de nous évincer »[20], mais « revient sur la nécessité de conserver une bonne entente avec la Commune ; nous devons lui prouver que nous pouvons être d’un grand secours pour elle. »…

  En continuant la lecture des procès verbaux, on comprend quel rôle ils se destinent… Ainsi, le 20 avril, tel membre s’exprime : « Ce qui a fait la révolution du 18 mars, c’est le Comité central organisé à cette époque. » Il entend que le Comité joue « un rôle moral »[21]… Le 11 avril déjà, Arnold exprimait sa vision : le Comité doit être « une sentinelle de vigilance »[22].

  On lit que les petites humiliations, les petits mouvements de susceptibilités, des empiètements de part et d’autre, des tentations de ne pas communiquer telle information à la Commune ou les plaintes de ne pas en recevoir assez d’elle, la volonté d’imposer ses décisions, l’impression de ne pas être entendu, empoisonnent les discussions du Comité et dévorent un temps peu consacré aux questions militaires… ]

  [ Aborder l’organisation du Conseil municipal. Noter qu’il est décidé d’une présidence à tour de rôle. Le journal caricatural le fils du Père Duchêne taquine cette décision en imaginant ce dialogue :

« Citoyen Lefrançais. – La séance est ouverte et puisque nous voici tous à peu près réunis, nous ferions peut-être bien de nommer un président.

Citoyen Verdure. – Pas de président !

Citoyen Billoray. – Non, pas de président !

Citoyen Lefrançais. – Cependant…

Citoyen Varlin. – Il est évident que le titre de président implique une certaine aristocratie hiérarchique que nous ne saurions supporter.

Citoyen Billoray. – Parfaitement : il y a des présidents à la cour d’assises (mouvement), à la police correctionnelle (second mouvement), au conseil de guerre (troisième mouvement), à l’Assemblée nationale (hue ! hue !), il ne saurait y avoir de président à la Commune libre de Paris. (Bravos prolongés.)

Citoyen Delescluze. – Pour en finir avec ces discussions qui nous font perdre un temps précieux, je propose de nommer un délégué à la présidence.

Plusieurs voix. – C’est ça, c’est ça, un délégué !

Citoyen Protot. – Je propose comme délégué à la présidence le citoyen Delescluze qui vient de résoudre si heureusement la difficulté qui arrêtait nos délibérations. »[23].

Regretter que l’humour ne permette pas de pressentir ce scrupule qui fait ces hommes remettre en cause le pouvoir dans ses moindres détails, « rompre avec toutes les traditions »[24], changer « de fond en comble les antiques relations de gouvernant à gouverné »[25].

  Noter que la question de la publicité des séances de la Commune est abordée, d’après Arthur Arnould, dès la première séance. Il y voit le pressentiment de la scission qui se produira plus tard, on le verra forcément, entre deux « courants », lui et ceux qui constitueront la minorité d’une part et d’autre part la majorité qui se qualifiera de « Révolutionnaire-Jacobine ». Arnould propose donc que les séances soient rendues publiques, dans une logique de « gouvernement du peuple par le peuple »[26], tandis que d’autres, parmi lesquels Paschal Grousset, se prononcent au contraire pour des séances secrètes, un « Conseil des Dix »[27]. On ne dispose pas des discussions sur ce point, mais lors d’une de ses séances, précisément celle du 10 avril[28], le Comité central fut lui aussi préoccupé par la question de la publicité des séances de la Commune. Relever l’ambiguïté du terme où on ne sait pas s’il s’agit de publier les séances et les votes au Journal Officiel ou d’ouvrir la salle au public… Toujours est-il qu’on s’inquiète que la Commune en soit « paralysée » ; on fait remarquer que « des individus peuvent venir troubler et compromettre les séances » ; mais on insiste : « la Commune est un corps élu, les électeurs doivent connaître la ligne de conduite de leurs élus. »[29]. Si le procès verbal ne s’attarde pas sur la question, noter quand même cet argument utilisé pour appuyer le secret : la Commune « n’a qu’à pourvoir au présent et à agir »[30]… Cette idée de parer au plus pressé, dans une telle situation de tension, paraît devoir être relevée… Il se trouve que l’autorité est commode…

  Revenir au Conseil de la Commune. Gustave Lefrançais croit pouvoir dire quant à ceux qui défendent le secret, qu’ils « avaient déjà résolu dans leur esprit de faire de la Commune une sorte de Conseil dictatorial »[31].

  En incise, rappeler que et Lefrançais et Arnould appartiendront à la minorité qui se dessinera bien plus tard et font part d’une lecture ex post. Arnould reconnaît d’ailleurs qu’en « parlant de la minorité et de la majorité, [il a] beaucoup anticipé sur les événements »[32].

  Relever que, d’après Arnould, « l’Assemblée vota pour la publication d’un compte-rendu résumé dans le Journal Officiel »[33] alors que, selon Lefrançais, « la non publicité absolue fut votée par la majorité de la Commune et tout compte-rendu absolument interdit »[34]… Toujours est-il que  ce n’est qu’au 12 avril que le J. O. annoncera : « Dorénavant, le procès-verbal de chaque séance de la Commune sera inséré au Journal officiel. »[35]

  Remarquer que si les élus des « quartiers bourgeois » se sont démis de leurs fonctions[36], la démission de Tirard, élu dans le 2e arrondissement, est spectaculaire, qui demande, avec sans doute une certaine audace, la parole lors de cette première séance pour dénoncer la confusion quant aux attributions de la Commune, qui dépasserait son mandat et s’arrogerait, selon lui, « un pouvoir politique », et de se retirer[37]. On a vu dans la première partie de cette proclamation de la Commune que le journal le fils du Père Duchêne adressera un reproche similaire à ce Conseil. Relever, pour autant, que Tirard répondait au discours du président de séance Beslay qui rappelait : « La Commune s’occupera de ce qui est local ; le département s’occupera de ce qui est régional ; le gouvernement s’occupera de ce qui est national »[38]… Arthur Arnould reconnaîtra que la position de la Commune reste vague, qui n’affirme pas assez nettement l’idée communaliste et semble « se substituer au gouvernement », à cause, selon lui, on retrouve évidemment son prisme, de « l’influence de la vieille tradition de l’État, de la vieille conception centralisatrice »[39].

  Enfin, en ce qui concerne l’organisation du Conseil de la Commune, relever, dès la deuxième séance[40], la création de dix Commissions : la Commission exécutive ; celle des finances ; celle militaire ; de la justice ; de sûreté générale ; des subsistances ; du travail ; des relations extérieures ; des services publics ; de l’enseignement[41], dans lesquelles on répartit les membres du Conseil qui se réuniront par commission et en séance générale…

  En incise, s’arrêter sur un projet de proclamation rédigé par Ranc, Lefrançais et Vallès[42] qui jette les bases d’un paradigme nouveau, révolutionnaire, de… comment dire… du rapport au pouvoir ?, des modalités sociales ?, de la rationalité gouvernementale ?… qui prévoit, en plus « des groupes particuliers » qui ressortent d’une « certaine communauté d’intérêts et de sympathies », puisque le droit de réunion et la liberté de la presse sont sans limites, des « réunions politiques de quartiers ou districts » et l’organisation de « l’élection [des] magistrats de tous ordres », qui sont « en contact permanents » avec les citoyens, « traducteurs » de leurs pensées et de leurs intérêts… Remarquer que ce projet ne trouva pas une majorité pour se voir approuver[43]]

  On rentre de cette fête inouïe de la Place de Grève. Il est tard. On a la voix cassée d’avoir trop chanté, trop crié. On ne veut pas se coucher. On discute. Quelqu’un sort une bouteille de vin. Il n’y a pas assez de verres. Ce n’est pas grave. On partagera. On parle des autres Communes en province, de ce mouvement exalté que Paris a déchainé, à Lyon, où la foule s’est précipitée à l’Hôtel de Ville et y a installé les républicains[44] ; à Saint-Etienne, où l’on a vu des mouvements de foule, l’occupation de la mairie par les gardes nationaux et la proclamation de la Commune[45] ; au Creusot, où les gardes ont protesté contre les ordres d’un colonel de tirer sur une foule qui réclamait la Commune et ont envahi la mairie[46] ; à Toulouse, dont des mouvements de troupes appelées en renfort ont eu raison[47]… Toutes ont échoué. Toutes ont fracassé leur poids lourd, si lourd, d’espoirs, d’attentes, d’impatiences, sur l’avenir de leurs peuples. On ne sait pas pourquoi. Les menaces, les ruses, la brutalité militaire, le manque de préparation… Non, on ne comprend pas, décidément. Et ne pas savoir, ce n’est pas fait pour rassurer. On n’ose pas demander à voix haute si la même répression attend Paris. Mais en se regardant on sait, on lit dans les yeux, dans les gestes, dans la brièveté des souffles, cette question imprégner tout, le corps, les muscles, les pensées. [Note : insérer quelque part dans ce passage, cet extrait de Jules Guesde qui insiste sur l’originalité de cette révolution, qui a ignoré la violence : « Ce qui distingue la Commune – toujours en tant que moyens d’action – veut-on le savoir ? C’est que l’épaulement des fusils a été précédé du dépouillement des votes ; c’est qu’avant d’être donnée aux canons, la parole avait été donnée aux urnes ; c’est que la bataille, au lieu d’être la préface, a été la suite, la servante du scrutin. »[48]] Quelqu’un parle du soutien de l’Algérie… Il lit un extrait du communiqué de ses délégués : « Opprimés pendant quarante années par la double centralisation de l’armée et de l’administration, la colonie a compris depuis longtemps que l’affranchissement complet de la Commune est le seul moyen pour elle d’arriver à la liberté et à la prospérité »[49]… Quelqu’un d’autre rappelle quand même que les Communes de Marseille et de Narbonne tiennent toujours[50]. Il insiste. Il dit que Marseille et Narbonne, ce n’est pas rien. On boit une gorgée encore. On regarde le verre de vin qu’on partage avec celui qui parle. On se rend compte qu’on l’a fini. On regarde la bouteille : elle est vide. On a honte. On aurait du lui laisser une larmichette. On n’a pas fait attention.

Dimanche prochain, on verra la Commune au travail...



[1] Cf Journal officiel de la Commune, en date du 30 mars 1871, Paris, 1871, p. 96.

[2] Cf Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, Tome III, Versailles, 1872, p. 49.

[3] Arthur Arnould, Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, éd. J.-M. Laffont, 1981, p. 131.

[4] Ibid., p. 127.

[5] Ibid., p. 128.

[6] Ibid., p. 129.

[7] Ibid., p. 130.

[8] Ibid.

[9] Ibid., p. 134.

[10] Ibid., p. 135.

[11] Ibid., p. 153.

[12] Cf ibid., pp. 152-153.

[13] Ibid., p. 135.

[14] Ibid.

[15] Cf Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, op. cit., pp. 50-51.

[16] Ibid., p. 51.

[17] A. Arnould, op. cit., p. 134.

[18] Cf Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, op. cit., p. 76.

[19] Ibid., p. 103.

[20] Ibid.

[21] Ibid., p. 125.

[22] Ibid., p. 70.

[23] Le fils du Père Duchêne illustré, numéro 4, 13 Floréal an 79, p. 3.

[24] A. Arnould, op. cit., p. 139.

[25] Ibid.

[26] Ibid., p. 144.

[27] Ibid.

[28] Cf Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, op. cit., p. 63.

[29] Ibid.

[30] Ibid.

[31] Gustave Lefrançais, Étude sur le mouvement communaliste, Neuchatel, 1871, pp. 186-187.

[32] A. Arnould, op. cit., p. 145.

[33] Ibid.

[34] G. Lefrançais, op. cit.

[35] Journal officiel de la Commune, en date du 12 avril, op. cit., p. 236.

[36] Cf ibid., en date du 2 avril, p. 125.

[37] G. Lefrançais, op. cit., p. 184.

[38] Ibid., p. 182.

[39] A. Arnoud, op. cit., p. 149.

[40] G. Lefrançais, op. cit., p. 193.

[41] J.O. de la Commune, en date du 30 mars, op. cit., p. 97.

[42] G. Lefrançais, op. cit., pp. 196-197.

[43] Ibid., p. 199.

[44] Cf, par ex. Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, 1929, p. 146.

[45] Ibid., p. 151.

[46] Ibid., p. 152.

[47] Ibid., p. 159.

[48] Jules Guesde, la Commune de 1871, Classiques français du socialisme, 1936, p. 12.

[49] J.O. de la Commune, en date du 29 mars 1871, op. cit., p. 88.

[50] Lissagaray, op. cit., p. 161.