7 h, je bois du thé vert, réajuste le brushing. Aucun bruit, simplement celui du frottement des bas sur mes cuisses. Comme à l’accoutumée, la revue de presse journalière n’est pas au rendez-vous sur mon bureau. J’en ai pris l’habitude car tout devient plus lent sous les ors de la République. J’ai l’impression qu’ils censurent, qu’ils édulcorent et que je lis un condensé de Pravda indigeste destiné à apaiser mes humeurs dites trop cycliques dans ce lieu où remettre en cause est un viol de l’esprit. J’entends des pas, ce ne sont pas ceux conciliants de l’attachée de presse. Ce sont les siens. C’est très rare sa visite de si bonne heure. J’ai comme un mauvais pressentiment et je sens déjà la tuile sur ma tête. « Entre » lui dis-je avant qu’il n’ait formulé la demande. Un homme que je ne reconnais pas dépossédé de toutes ses couleurs rubicondes pénètre dans ma pièce. C’est bien lui pourtant avec sa veste de costume curieusement ajustée en dépit des multiples essayages auprès des plus grands tailleurs. C’est bien lui pourtant avec ses cheveux teints pour ne pas jouer au grand-père de la République. C’est bien lui pourtant qui se tient fasse à moi et qui semble retenir au bord de ses lèvres trop minces l’apocalypse de notre intimité. Il se met à parler, les mots s’expulsent. Solitude, pouvoir, responsabilités, Obama, Mali, seuil de pauvreté, crise, chômage, pression, PIB, oubli, femme, blonde, comédie, actrice, jalousie, tweet, enfants, sexe, actrice, blonde à nouveau, douceur, joie. Jalousie, exclusivité, possessivité, autre femme, blonde encore, aveu. Tromperie. Amour. Oubli.
Il tourne les talons, c’est le jour du conseil des ministres. Sourde, aveugle et muette, je suis dépossédée de tous les sens dont celui de la lucidité qui peu à peu dérive hors de mon être. Une longue plainte associée à un cri sans écho meurt ce matin-là contre les tentures secrètes du 55 Faubourg Saint Honoré. Après, je ne sais plus. Je les vois partout. Ils forment une toile d’amour obscène se répandant dans le monde entier. Je ne suis pas humiliée, juste morte dedans. Enfin, je tombe dans l’inévitable coma de moi-même. Emmenez-moi. Autre part.
Je me prénomme Valérie. On m’appelle l’intrigante ou mieux encore la dame de pique prête à dégainer son atout vengeur dès que l’occasion se présentera. J’ai 48 ans. Je suis journaliste, mère de famille, divorcée et j’aime un homme normal. Laissez-moi …
Astrid MANFREDI, le 26/01/2014
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