J'aime beaucoup aller travailler à la bibliothèque François Mitterrand. Mon statut de journaliste me donne, ô insigne privilège, la possibilité d'aller travailler dans les salles de recherche, au rez-de-jardin, ce que je ne manque jamais de faire. C'est en effet non seulement très confortable - il y règne notamment une température absolument égale, hiver comme été, malgré les plafonds cathédrale - mais également fort tranquille. Même si, de plus en plus, les ordinateurs que chacun apporte avec soi font régner une ambiance de pool de dactylographie. Et là, je m'y connais, vu que c'est dans un de ces pools, chez Elf France pour être précise, que j'ai commencé ma carrière professionnelle... Eh oui, dactylo sur une machine IBM à boule. Ça fait drôlement dinosaure, ça...
Bref, j'aime aller à "François Mitterrand", où je me plonge dans le travail, au milieu d'une foule de chercheurs et de thésards concentrés sur leur sujet. Je suis capable d'arriver à l'ouverture à 9 h le matin et de ne plus bouger jusqu'à la fermeture, à 20 h. Je ne me lève même pas, je ne mange pas, je ne bois pas, je travaille. Et c'est super, j'adore ça. C'est une vraie plongée dans mon sujet, d'où je ne suis distraite par rien. Sauf que la fois passée, il y avait un quidam un peu agité. La soixante-quinzaine bien tassée, il faisait des allers et retours avec la banque de prêt, chargé d'une grosse quantité de livre dont je ne suis pas parvenue à saisir les titres, mais qui le plongeaient dans une hilarité mordante à la limite du sarcastique. Il avait des exclamations d'étonnement scandalisée et se laissait aller à des petits rires sardoniques qui pouvaient laisser croire qu'il passait en revue toutes les turpitudes politique de la IVème république. Or nous étions au département "religions"... Il était fusillé par tant de regards courroucés, y compris de ma part, que s'il s'était transformé en passoire, nul n'en aurait été surpris. Mais il n'en avait cure et l'on devinait, à son aisance et, surtout, au mépris souverain qu'il avait de nous, pauvres mortels, que nous étions en face d'un véritable rat de bibliothèque, familier des employés comme des rayonnages et pour lequel le fichier des références n'avait plus aucun secret.
Ce soir-là, je sortis comme à mon habitude, à la fermeture. Mais, dérangée par un coup de fil, je dus m'asseoir quelques instants sur un fauteuil avant d'aller braver les éléments déchainés sur le parvis. Or là, j'avisais entre les fauteuils ultra-confortables signés, comme tout le reste, par l'architecte Dominique Perrault, une petite souris prenait un peu de bon temps. Bien à l'abri de la pluie et du vent, elle faisait le tour du propriétaire, reniflant de ci de là, la moustache conquérante et le pas vif, sûre d'elle-même et de ses droits inaliénables sur un bâtiment dans lequel, quelques minutes plus tard, elle allait se retrouver enfin seule. Après le rat de bibliothèque, la souris. De toute évidence, le chat (botté, célèbre conte de Perrault - Charles !) n'était pas là.