D’abord, je n’ai pas trouvé sa tombe. Le vieux cimetière cachait le récent. Moi, je cherchais dans les vieux morts. Et puis, je l’ai trouvé. Une pancarte : la concession était échue pour cause de renouvellement ou d’abandon. Prière de s’adresser à la mairie. Sur la stèle, rien. Elle est noire et sobre. Pas de fleurs défraichies. La béchamel me colle au ventre. Je lis la lettre à mon mari. Pas des phrases de regret. Non des mots pour lui où je suis, où nous en sommes. Tous les deux. Une inscription seulement : nos deux noms de famille liés : Lapierre-Duhazard. Je relance les dés. J’ai relancé les dés.
Au petit hasard j’abandonne ma chance. Mon ventre est dévoré. Il y a le canal à côté, son eau rancie me rassure désormais. Le ciel est gris. Je décide de remonter le long de ses maigres trottoirs bordés de pauvres grilles. Il n’y a plus de voitures qui passent de ce côté. La maison de famille que nous avons vendue se trouve plus loin. C’est elle qui me permet de voyager depuis deux ans. 10 rue des monteurs d’histoires. Et puis, quelques pas encore, c’est le bistrot où ma grand-mère faisait des extras pour remplumer le foyer. Et le chemin de fer abandonné. L’église penchée telle une tour de Pise catapultée dans le Pas de Calais. Les morceaux de puzzle sont éparpillés, c’est inutile de vouloir les rassembler.
Je suis Ajit, le fils du croque-mort adopté. Je suis Natacha hôtesse de l’air. Je suis la courtisane imparfaite. Je suis la voyante. Je suis le comptable. Le juge. Je suis celui qui n’a jamais eu le temps d’écrire, à qui on a volé les cahiers, qui a attendu toute une vie pour pouvoir enfin coucher sur papier tout ce qu’il avait à raconter. C’est le moment que la mort a choisi pour s’emparer de son dernier souffle.