La béchamel nous colle aux ventres

Publié le 29 janvier 2014 par Ctrltab

Jean

C’est un pays lointain, humide et froid. C’est mon enfance. On enterre les choux-fleurs dans les cercueils. On boit la bière dès onze heures. Le canal emporte avec lui les jouets perdus et les puzzles éparpillés à tout vent. La béchamel nous colle aux ventres.

Je traîne le long des sentiers qui longe le cimetière. J’ai rendez-vous avec Caroline. Elle ne vient pas. Le désir monte en moi. Je me touche à travers mon pantalon. Il me serre. J’ai encore grossi. Je balance des cailloux au loin qui ricochent sur les tombes des jeunes morts. Je poireaute comme un con, la peau écarlate, fouettée par la grisaille.

La lune est à moitié levée. Blafarde. Je lui en veux de pointer son nez. Paresseuse. Qu’est-ce qu’elle fout celle-là ? Désordre. Ennui. Je me ronge les ongles. J’ai soif. Envie de picoler. Envie d’oublier. Je remonte au bled.

Je tente d’évaluer l’événement et ma déception. C’est un lapin ou une rupture ? Caroline, est-elle en train de se faire troncher par Willy au 34 rue de l’Eglise ou m’a-t-elle simplement oublié ? Je délire. Et j’en tire presque plus de plaisirs que de tenir réellement Caroline dans mes bras. Ce sont les débuts de ma vie amoureuse.

Je regarde mes mains, elles sont presque aussi anguleuses que celles de ma mère. Des mains de gonzesse. Je me roule une clope. J’aime la fumée qui s’échappe de mes lèvres. Goût poivré qui demeure au fond de ma bouche. De gros nuages lenticulaires se traînent dans le ciel.

Ciel bas. Bas de femme. Con. Con comme la lune. Moi. Toi.

Un jour, il faudra que je parte d’ici.

Je le regrette déjà.

Mal du pays

Caroline veut apprendre l’anglais. I want to speak English. Desesperatly, dit-elle. Comme Susan. Comme Madonna. C’est ma sortie de secours pour fuir d’ici. Mes enfants auront la chance, eux, de porter des uniformes bleus marines. Comme ceux que l’on voit sur les dos des petits rosbifs en excursion au jardin publique.

Caroline est une vraie originale. Elle refuse souvent de prendre un verre au Spey River pour se plonger dans les subtilités des différents temps anglais. Ils ont une manière de voir si différente de la nôtre ! Le présent est leur principal marche pied. Ce n’est pas comme en français où les vrais beaux temps ne se conjuguent qu’au passé.

Caroline sort avec un type à la peau blanche qui rosit facilement. Ca lui rappelle l’effet de ses doigts sur son sexe. Long, fin et rose, il grossit sous sa langue râpeuse. Derrière les buissons du cimetière. Le seul endroit où l’on vous fout encore la paix. Chaleur des couilles. Granuleuses. Fluides salés. Poils perdus au fond de la bouche. Blow job.

Caroline-Salope, Caroline bitte-couille et que je t’encule, caroline tes nichons me donnent des envies de meurtres, Caroline viens là que je m’y mette…! Les mots crus, cochons, tous des porcs, des truies surtout… Combien de fois les a-t-elle entendus et lus sur les murs du lycée et des chiottes? Les comptines de l’enfance la protègent des jalousies. Tu parles, c’est celui qui-dit-qui-y-est.

Caroline a rendez-vous tout à l’heure avec Jean. Plus envie d’y aller… Elle lit Vingt ans, apprend les 20 trucs pour faire croire qu’on couche… Paresse. Ennui.

Il paraît que Willy la trouve bonne. C’est Natacha qui lui a dit. Willy, pas très intelligent, gros fumeur de pétard, majeur…inintéressant… oui, mais il part bientôt pour l’Ecosse… Caroline rêve. Caroline mouille. Caroline prend trois culottes, les fourre dans son sac Bob Marley avec son casque, sa musique, son teddy bear, deux sweats, cinq soutifs et un jean.

Elle n’écrit pas de mots à ses parents. Elle s’arrache. Il n’est pas question de laisser de trace. De toute façon, quand elle sera passée de l’autre côté, elle rallumera son portable. Elle leur fera signe.

Elle n’oublie pas de prendre sa robe rouge et ses talons, cela pourra toujours servir.  Elle part sonner à la porte de Willy et s’offrir. Demain, elle sera en Angleterre.

Ce n’est pas une fugue, c’est une tentative de survie.

Tu connais le morse ?

Cette fille me lance des SOS, coincée entre ses potes et une lignée de bières. C’est la salope du lycée, on me dit. A part la belle paire de nichons, je ne l’aurais pas cru. Son regard est aussi gris que la mélancolie qui émane de sa personne. Elle s’appelle comment ? Caroline, laisse tomber, elle n’a même pas seize ans et tout le monde lui est déjà passé dessus. Une fille de paille aux cheveux filandreux, un cul de sac percé, oui.

Moi, je le trouve jolie, Caroline. Fragile. Désirante. Je vois en elle le goût de l’autre. Ses yeux sentent la bite peut-être mais j’y vois surtout la fureur de faire tomber les apparences, de décapsuler les bouteilles d’alcool et de descendre la braguette de la vie. Douceur. Ennui. Je lui glisse entre les mains un billet.

« Je m’appelle Willy. Je pars dans deux jours en Ecosse. Viens avec moi. Je t’attends à cette adresse : 34 rue de l’Eglise. Come with me. Xxx »