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3 février 1874 | Naissance de Gertrude Stein

Publié le 03 février 2014 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

G.Stein by Warhol
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Le 3 février 1874 naît à Allegheny (Pennsylvanie) Gertrude Stein, au sein d’une riche famille juive. Elle grandit entre Vienne et Paris puis retourne vivre aux États-Unis où elle entre au Radcliffe College. Elle entreprend ensuite des études de médecine. Qu’elle abandonne en cours de route. Ce qui ne l’empêche nullement de se passionner pour « l’hystérie féminine ». Elle fait, à cette époque, la connaissance du psychologue William James, frère du romancier Henry James.

De retour à Paris en 1904, où elle rejoint deux de ses frères, elle arpente les quartiers artistes. Passionnée d’art moderne, Gertrude Stein se lie d’amitié avec les peintres cubistes — Picasso, Matisse, Cézanne —, dont elle collectionne les tableaux. Elle fréquente l’avant-garde de la capitale — Picabia, Tristan Tzara — ainsi que des marchands d’art. Dramaturge et poète, Gertrude Stein tient salon pendant de nombreuses années, de 1903 à 1938, rue de Fleurus. En 1907, Gertrude Stein se lie avec Alice Babette Toklas (femme de lettres américaine et secrétaire de son frère Léo). Elles vivront ensemble jusqu’à sa mort (en juillet 1946 à Neuilly-sur-Seine). C’est au cours d’un séjour à New York, en 1934-1935, que Gertrude Stein rencontre l’Amazone, Natalie Barney, qui, dans Traits et portraits, lui consacre plusieurs pages.



EXTRAIT de TRAITS ET PORTRAITS

En tant qu’élève de William James, sa connaissance des réactions humaines se révélait efficace à l’égard des gâcheurs d’existence ; chez certains il lui arrivait de déceler un don pour l’imposture qu’elle parvenait parfois à leur faire avouer. Ou bien elle leur indiquait les moyens de se débarrasser de leurs victimes, considérant, d’accord en cela (si je ne me trompe) avec Henry James qu’il n’est rien de pire qu’un tyran, si ce n’est la victime du tyran.
Encore plus curieuse des « cas » que de leur guérison, elle se servait beaucoup de ses interlocuteurs pour ses pièces ou ses nouvelles. Il en est même qui pourraient se reconnaître dans ses œuvres, s’ils sont suffisamment initiés au jeu de Colin-maillard. Mais en l’occurrence, c’est le lecteur qui porterait le bandeau.
Elle publia aussi des ouvrages, d’une plume acérée, d’une pénétrante lucidité, qui témoignent, comme Les choses telles qu’elles sont, d’une psychologie très subtile.
Moi-même, qui n’ai pas pour habitude de consulter qui que ce soit au sujet de mes problèmes, il m’arriva de confier certains d’entre eux à l’oreille obligeante et avisée de Gertrude. En un instant et d’un seul mot : celui de « consanguinité », elle discerna la source du mal.
Elle ne semblait jamais ni hésiter, ni réfléchir, ni viser un but, mais invariablement, elle frappait au cœur de la cible […] J’ai aussi rencontré Gertrude Stein à New York, au cours de l’hiver, glorieux pour elle, de 1934-1935, et je me promenai avec elle par une de ces journées, rayonnantes comme le diamant, où le moindre mouvement fait jaillir des étincelles.
Observant anxieusement l’indépendance avec laquelle, sans la moindre appréhension, Gertrude traversait les rues, je lui demandai comment il se faisait qu’elle n’hésitât jamais au bord des trottoirs, comme je le faisais moi-même, avançant le pied, puis le reculant, pour guetter une occasion favorable.
« Tous ces gens, me dit-elle, y compris les aimables conducteurs de taxis, me reconnaissent et prennent soin de moi. » Ce disant, elle s’élança, ses jupes plutôt longues tendues comme des voiles par une brise marine, puis elle aborda de l’autre côté de la 59e Rue, dans le Parc, avec autant de confiance que les Israélites traversant la Mer Rouge, tandis que moi, suivant trop tard son sillage, je manquais d’être submergée.
Elle acceptait sa célébrité comme un tribut, lent à venir, mais mérité, et l’appréciait énormément. Une seule fois, à Paris (ce fut en fait la dernière fois que je la vis) elle se montra contrariée d’avoir été reconnue par un photographe, car il se mit en travers de sa route, comme elle entrait chez Rumpelmeyer.
Afin de concilier et son désir de pâtisserie et la requête du photographe, elle le laissa la photographier à travers la vitre, en train de manger un gâteau. Son impatience était surtout causée par un déjeuner décevant, dont nous venions de faire l’expérience chez Prunier, déjeuner au cours duquel nous avaient été refusées toutes les variétés de poissons que nous avions commandées avec un appétit accru par les privations subies pendant la guerre et par les restrictions qui étaient encore imposées. Jusqu’à ce que finalement (ceci se passait en 1946), désespérant de trouver jamais un monde meilleur, Gertrude laissât tomber sa tête entre ses mains, en la balançant de droite et de gauche. Et c’est seulement lorsque nous parvînmes à cette pâtisserie de la rue de Rivoli que son humeur et son appétit se ranimèrent à la vue d’une compensation partielle.


Natalie Barney, « Gertrude Stein » in Traits et portraits [1963], Mercure de France, 2002, pp. 32-33-34-35.





■ Voir aussi ▼

→ (sur Terres de femmes) Apophtegmes de l’Amazone



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