Francine était entrain de fouiller la terre avec ses ongles, d’un air absent, tandis que moi je sombrais dans mes songes. J’aimais bien penser. Rêver ce à quoi pouvait bien ressembler la Terre avant le grand Cataclysme. Ces plaines immenses et verdoyantes, ces cités bâties à ciel ouvert, regroupant des millions et des millions de personnes, le soleil, oh oui, le soleil, si chaud et bon qu’on pouvait rester dehors toute la journée sans craindre de geler, et l’air, un air pur que l’on pouvait respirer à plein poumons sans s’étouffer, oh oui, qu’elle devait être belle la Terre. De toute façon, je n’en avait aucun souvenirs, seuls les contes que la grande matriarche nous racontait et qui nous permettaient de nous endormir tranquillement les unes contre les autres, pour éviter de mourir de froid.
Une claque derrière ma nuque me fit revenir à mes esprits.
« Qu’est-ce que tu fous? Encore à rêvasser? C’est pas en restant là qu’on va pouvoir bouffer quelque chose ce soir! Mets toi au boulot, et plus vite que ça! »
La grande matriarche avait cette faculté à se faire obéir plus vite que n’importe qui d’autre. C’était certainement pour cela qu’elle était devenue la grande matriarche de notre communauté. Avec ses 68 ans pour son 1 mètre 50, elle savait quand il fallait être douce, et quand il fallait durcir le ton. D’ailleurs, c’est aussi certainement pour cela que malgré son vieil âge et sa petite taille, personne dans la communauté n’osait la défier. Elle était juste et forte, il ne nous en fallait pas plus.
« Je ne serais pas éternelle, Juliette. Lorsque mon heure viendra, il faudra quelqu’un pour diriger cette communauté. Je sais que tu feras une bonne matriarche, mais il faut encore que tu gagnes en sagesse… La nuit ne va pas tarder à tomber. Dépêche toi de finir de fouiller ta parcelle de terre, et rejoins nous vite à la maison. »
Pendant que je regardais la grande matriarche rentrer chez nous, je m’affairais à mon travail. C’était laborieux, mais nécessaire à la survie de notre communauté. On creusait le sol avec nos mains parce qu’on avait pas de quoi se construire des outils. Je me suis déjà cassé tous les ongles de chaque mains, mais la grande matriarche dit que nous avons tout le temps devant nous pour devenir élégantes. Nous cherchons de la nourriture des civilisations perdues, lorsque le grand Cataclysme a frappé notre monde. Si au début nous trouvions de quoi nourrir une communauté grande comme 10 000 individus, aujourd’hui nous avons du mal à contenter nos 5 malheureuses bouches. Francine était ma meilleure amie. Elle écoutait sans discontinuer mes rêves les plus fous concernant l’exploration du monde. Mais pour l’instant, il fallait mieux creuser. Mince, il fait déjà nuit. La nuit tombe vraiment trop brusquement par ici.
Je regagnais la maison aussi vite que je le pouvais. La grande matriarche m’attendait au pied de la porte. « Allez vas-y rentre! » et elle ferma derrière moi. Notre maison était rudimentaire : une pièce où nous dormions, une pièce pour la toilette, une pièce pour le garde-manger et une pièce à vivre. Aujourd’hui, plus que n’importe quel jour, nous n’avions rien à se mettre sous la dent. Nous décidâmes d’aller dormir et de partir à l’aube dès le lendemain pour creuser d’avantage. Il doit bien rester quelque chose à grignoter dans cette foutue terre?
Je n’arrivais pas à dormir. Les cris affamés de mon ventre vide m’empêchaient de fermer les yeux. Je me leva et m’approcha d’une fenêtre. J’ai pu y voir qu’il y faisait nuit noire. Comme d’habitude de toute façon. « Que fais-tu encore debout à cette heure de la nuit, Juliette » demanda Francine. Je n’ai pas eu le temps de répondre qu’aussitôt le jour s’était levé. Ca m’avait complètement éblouis. La grande matriarche arriva auprès de nous. « Ca va mesdemoiselles? Aujourd’hui, c’est un grand jour… C’est le jour des sélections! Je le sens! »
Le jour des sélections, un homme venait choisir sa future dulcinée parmi les différentes communautés de demoiselles que nous formions. C’était notre espoir de sortir de cet enfer à ciel ouvert et de découvrir le monde qui nous entourait. « Il faut vous faire belle! Passez tous à la toilette! » « Et vous? » demandais-je à la matriarche. « Hihihi, je n’ai plus l’âge pour cela, ma petite Juliette! La vie trépidante d’aventure et d’exploration dont tu rêves depuis ta naissance est peut être sur le point de commencer! » Il fallait que je sois choisis. Il le faut!
Quelques minutes plus tard, un homme vêtu d’une armure qu’on aurait dit faite de latex et de plastique pénétra dans notre communauté. La grande matriarche avait raison. C’était l’heure d’ailler explorer le monde. Qu’il était beau en plus…
L’homme regarda fixement Francine, puis Léa. Léa était paniquée à l’idée de quitter la communauté, cela se voyait. Elle était jeune de toute façon. Elle ne pu soutenir le regard de l’homme qui passa son chemin. Voilà, regarde moi. Ca y est. Il m’a vu. Il s’approche de moi. Sans ne dire mot, il m’attrape par mon bras. Ca y est les filles, je m’en vais. On ne se verra peut être jamais plus. Adieu.
Après un long voyage où je ne vit pas grand chose finalement, nous firent escales sur une parcelle qui ne ressemblait à rien de ce que la grande matriarche parlait. C’était froid, glacé et le contact de mes pieds sur le sol me brûlait. Mon sauveur était là. Ses mains étaient puissantes et solides. Il m’agrippa de toute ses forces par la peau de mon dos. Je me débattais. Il me faisait mal! « Arrête de bouger! » me lança t-il. Il me plaça dans une pièce transparente tandis que lui restait dehors. J’ai ma tête qui tourne. Je sens comme quelque chose d’inhabituel dans l’air… un gaz … soporiph… i…que.
Lorsque je me réveille, je suis sur le dos, mes membres me font affreusement mal. Je n’arrive pas à les bouger. Mes sens sont tous en alertes. Mais que se passe-t-il? J’essaye de tourner la tête vers mon bras droit… horreur! Un pieu énorme en métal me traverse le bras et semble planté dans le sol juste en dessous. Je regarde à gauche puis vers mes jambes… Je comprends d’où vient cette douleur et surtout pourquoi je ne peux plus bouger. Je vois l’homme qui m’avait emmené jusqu’ici : je crie, je hurle. Je manque de m’évanouir. « Ah, mais tu t’es réveillé numéro 3? Je n’ai pas dû assez monter la dose.. » Il plaça un petit entonnoir raccordé à un tube sur mon nez.
La douleur s’estompe, ma tête tourne, je ne me réveille plus.