Les Papous (Collectif), Françoise Treussard, 36 Facéties pour des Papous dans la tête par Angèle Paoli

Publié le 04 février 2014 par Angèle Paoli
Les Papous (Collectif), Françoise Treussard,
36 Facéties pour des Papous dans la tête,
Carnets Nord/France Culture, 2014.
Illustrations de Ricardo Mosner.


Lecture d’Angèle Paoli



Source


ROMY, L’UNIQUE OBJET DE MES DOUX SENTIMENTS

Facétie ? Emprunté au latin « facetia », le mot « facétie » fait son apparition au XVe siècle. Il désigne une « plaisanterie », un « acte ou propos visant à divertir malicieusement, à faire rire sans méchanceté ». Œuvre d’auteurs facétieux, l’ouvrage collectif 36 facéties pour des Papous dans la tête rassemble, sous la bannière (en page de titre) de Françoise Treussard, des poèmes à lire et à rire que chacun peut retrouver par ailleurs et réentendre dans la célèbre émission du dimanche matin : Des Papous dans la tête. Originaires de la Maison de Radio France, sise en Papouasie parisienne, les « Papous » de France Culture sont connus de tous les adeptes de la chaîne radiophonique. Depuis trente ans, en effet, ces malicieux amoureux de la langue française et de la littérature, régalent — sans jamais se prendre au sérieux — de leurs talents parodiques, de leurs vers de mirlitons, de leurs tirades où fusent les bons mots, l’auditeur ébaubi de retrouver, comme au temps des salons littéraires les plus réputés de France, le goût des bouts rimés, la majesté tragique de l’alexandrin, la vivacité de l’octosyllabe ou les envolées lyriques. Refrains de chansons célèbres et slogans issus de mai 68 voisinent avec des vers aux accents cornéliens, raciniens, rimbaldiens, baudelairiens, hugoliens, mallarméens, shakespeariens… Le tout fuse dans la bonne humeur. Ici aussi, à l’écrit comme à l’oral, ruptures de tons et de langages, incongruités et intrusions, pastiches et mélanges, décalages en tous genres détournent le texte d’origine pour en faire une parodie drôle, joyeuse et pleine d’humour. Et le lecteur se réjouit de redécouvrir, sous la plume déliée et habile de ses auteurs, ce petit ouvrage coloré, facétieusement illustré par Ricardo Mosner. Une manière imagée et drôle de donner une seconde vie à la bande des Papous et à leur espiègle jonglerie. Constituée de huit joyeux compères /commères, tous écrivains — Eva Almassy, Patrice Caumon, Odile Conseil, Lucas Fournier, Gérard Mordillat, Ricardo Mosner (peintre et écrivain), Dominique Muller, Jacques Vallet —, la petite bande revisite à l’envi la littérature. Pour notre plus grand plaisir. Et se taille des morceaux de choix dans nos classiques. Humeur folâtre garantie. Qui se cache derrière les titres ? Quel auteur et quelle œuvre va-t-il nous être donné de découvrir ? Certains titres sèment des indices. Ainsi celui de « Carmen in black » suggère-t-il « l’histoire d’une gitane »… « qui n’en fait qu’à sa tête ». « Mystère et boules de… » laisse entrevoir, du « Nouveau Roman », « le manifeste ». « L’Ubu blues » annonce un pastiche de pataphysique à la Alfred Jarry. « Totor dans l’9. 3 » fleure son Hugo de banlieue. « Souvent bobos varient », titre très explicite, de la pauvre Emma évoque les chimères. Et du truculent Flaubert Gustave ravive la flamme :


« Cette femme, c’est moi : sous la cendre la lave,
Sous le jupon le feu. N’ont-ils donc qu’une octave
Pour réveiller les sens, ces tristes rats de cave
Léon clerc de notaire, Rodolphe au goût suave ? »


Mais « Les chaises musicales » ? « Le cygne du zodiac » ? « Les ennuis du chasseur » ? Rien qui mette le lecteur sur la voie. Sinon une note en bas de page qui le met aussitôt sur la piste. D’autres titres s’évadent de la littérature hexagonale et vont puiser ailleurs leur inspiration. Ainsi le « Faites l’amour pas la gare ! » d’Eva Almassy, fait-il revivre, en trois strophes, la « Tolstoï’s Story » d’Anna Karénine. Et l’écrivain de conclure :


« Relisez ces mille et belles pages
Pour faire vôtre le sage adage :
Un train peut en cacher un autre
Mais resteront à jamais nôtres
Les livres lus au cours du voyage ! »

De son côté, Odile Conseil, « journaliste professionnelle et cycliste amateur », s’empare de l’héroïne suédoise d’Astrid Lindgren, Pippi Langstrump, alias Fifi Brindacier, dont elle ravive le portrait à travers une fantaisie alertement rythmée :


« Pour vous en dire plus sur le genre de Fifi,
Elle est… Oui c’est cela, la grande sœur de Zazie
Un parler franc et net, dénué de chichis
Qui fait dire aux adultes (mais ils n’ont rien compris)
“Cette Fifi vraiment est très, très malpolie !” »

Gérard Mordillat s’empare, lui, du vieux Santiago du roman d’Hemingway : The Old Man and the sea. Dans une épopée à la tonalité hugolienne, alliant noblesse de l’alexandrin et langage parlé, mélangeant les styles, « le cinéaste et écrivain » rend hommage au vieux pêcheur « amer » :


« Il est parti Pépère, sur son petit bateau,
Car la mer était d’huile et le ciel était beau
Pour pêcher la sardine il fallait le moral
Depuis plus de deux mois il rapportait que dalle »


Mais, plus avant dans l’histoire, l’auteur, emporté par son élan, se lance dans envolée lyrique qui ramène Oceano Nox au-devant de la scène:


« Oh ! combien de marlins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Dans ce morne horizon se sont évanouis »


Et le poète Mordillat de conclure son morceau de bravoure en forme d’apologue. Par une moralité adaptée à son propos :


« Moralité :
Hier comme aujourd’hui les pauvres se font bouffer
Par les requins d’argent en toute impunité. »

Parfois la chanson — vers brefs et airs enlevés — , se glisse sous le texte parodié : ainsi du « Allez Grèce ! » de Jacques Vallet, dont les strophes, inspirées par le roman d’Henry Miller — le Colosse de Maroussi — se chantent et se scandent sur l’air du célèbre « Allez venez ! Milord » de Piaf :


« Allez venez ! Miller,
Quittez votre Amérique
Qui vous rend si amer.
La France est magnifique. »


La Nana d’Émile Zola sert de prétexte au même Jacques Vallet pour inventer un « Grand bal des amants » qui se décline sur le célèbre refrain de La The Nana de Léo Ferré.


« Cette Nana
C’est dans le corps et dans le geste. »


« Cette Nana,
Elle est Vénus sortant de l’onde. »


« Cette Nana,
C’est dans la taille et dans le faste. »…

Ainsi au fil des textes se croisent s’entrecroisent se rencontrent se côtoient les auteurs les plus célèbres, leurs vers les plus fameux. Et avec eux les personnages qui continuent de mener joyeuse sarabande dans nos mémoires. Jean Valjean et sa kyrielle de « Misérables » ; Sophie et sa maman Ségur ; « l’Olympic de Marcel » (Pagnol), son Garlaban, ses bartavelles ; Grégoire Samsa et sa carapace de blatte ; le quatuor Godot, Didi et Gogo, Lucky et Pozzo ; le tremblant Eguchi et sa belle endormie ; la petite Lolita qu’adore Eva (Almassy) ; le sombre prince Hamlet et la tendre Ophélie ; Andromaque et son incorrigible suite attachée à ses basques — Oreste / Pyrrhus / Hermione / Astyanax ; Adolphe « l’inconstant » de Benjamin Constant ; le troyen Énée en lutte avec Turnus, roi des Rutules, et Dominique Muller en proie aux « hexamètreux » dactyliques ; Flush, l’ardent petit cocker d’Elisabeth Barrett Browning, mis en scène par Virginia Woolf dans le roman éponyme Flush ; Othello entré par jalousie dans « l’ère du soupçon » ; Madame de Mortsauf et son amour subtil ; Marguerite Germaine Marie Donnadieu et son amant pur Chine. Queneau et son « trame » S – « Ô temps suspends ton col ! » ; la mission Solaris roman de science-fiction, avec Lem (Stanislas Lem) à son bord, « poète, amoureux et savant » ; Angelo l’exilé qui arpente les toits de Manosque et son grain de folie, Pauline de Théus ; et le grand Saint-Simon, ses « portraits hilarants », ses «  touches assassines », son « style à faire pâlir Bossuet et Racine »… Et puis Flaubert encore et sa Madame Arnoux.


« Son nom doit se scander, comme dans Baisers volés :
« Madame Tabard ! » par Léaud, sans fin déroulé ».

Et encore Alain Bombard qui salive en silence, qui « rêve de choucroute et de gigot à manche ». Tartarin de Tarascon, ce « Drogo des Alpilles attendant les Tartares » ; Bécassine, « gourde immortelle » de Bretagne,
« Née en 1905, à Clocher-les-Bécasses
Ignorant la lutte des classes »… Et la fillette du conte, « sa rouge coiffe sur les tifs » qui fait s’interroger Dominique Muller :


« (Le petit chaperon, s’il avait été gris,
aurait-il vu le loup à la queue rabougrie ?)


(Le petit chaperon, s’il avait été vert,
aurait-il vu le loup est ses désirs pervers ?)


(Le petit chaperon, s’il avait été rose,
Aurait-il vu le loup et ri de sa névrose ?)

Spécialiste des romans à rallonges, Patrice Caumon attise avec eux sa plume assassine. Ainsi de cette conclusion de L’Astrée, d’Honoré d’Urfé :


« Ce roman, telle nouvelle ampoule de basse conso,
Ne s’éclaire qu’avec lenteur, même pour les moins sots ».


De l’Adolphe de Benjamin Constant, il dénonce, cruel, le bavardage :


« Mortel ennui rend plus bavard qu’amer,
C’est du Moravia, filmé par du Rohmer ».


Quant au roman de L’Éducation sentimentale, Caumon ne se prive pas d’ironiser :


« Flaubert nous décrit le va-et-vient sur le pont,
Et puis tout à coup… du sublime, c’est l’pompon !


Stop ! Arrêt sur image…Point ! Retour à la ligne :
Ce fut comme une apparition : quelle belle idée ! »

Chacun trouvera dans ce petit livre magique de quoi retrouver sa bonne humeur et ses classiques. Chacun appréciera les clins d’œil, les joutes, les allusions, les clichés, les figures de style, les références qui continuent de se perpétuer, au-delà d’une époque. Pour ma part, j’ai un faible pour trois de ces textes. Sous la plume de Lucas Fournier — « Les ennuis du chasseur » — « l’épopée tragique » de Tartarin est très réussie, à la fois grandiose et irrésistible :


« Tarascon, le Midi, sous ce nom magistral,
Un pont, trois rues, la place et surtout le mistral
Et le terrible ennui. En face, c’est Beaucaire.
Comme le Nil l’Égypte, le Rhône a son beau Caire… »


« Tu pars dans la nuit noire, pour chercher la savane,
Un lion surgit. Tu tires. Malheureux ! C’est un âne. »


« Tu pars enfin, au Sud où les lions vont boire
Que le voyage est long dans ces grands territoires
Vers le lointain Atlas et le grand Sahara.
Tu pars, vêtu d’orgueil et d’une gandoura. »

Avec « Chantons sous la pie », Lucas Fournier revisite avec beaucoup d’humour, références musicales à l’appui, les Bijoux de la Castafiore d’Hergé. Une action en cinq actes où l’on croise Racine et Rossini, Molière et son « destin de pierre », Verdi qui conduit « La Force du Destin », Wagner/Rimbaud ? qui font dériver le « vieux Moulinsart » en « château ivre ». « La beauté extrême » est implicitement incarnée par l’Oiseau bleu de Rudolph Noureev et par la Junie du Britannicus de Racine :


Acte 5. « L’Oiseau bleu : cette jeune vaillance
Que porte son héros au regard bleu faïence
Hergé la montre ici dans sa beauté extrême,
Pure sans artifice… »


Les Bijoux de la Castafiore d’Hergé ? « Il ne se passe rien ou si peu. Tout est là. »


Et le texte se clôt sur La Gazza ladra :


« Les bijoux envolés sont perchés dans un nid
Tintin en crescendo y grimpe en Rossini.
Et l’œuvre se termine. Bravo ! C’est la pie end. »

Enfin, le dernier texte, celui sur lequel se clôt le livre, est aussi un pur moment de plaisir et de tendresse. « Tous les chemins mènent à Romy », écrit Gérard Mordillat. Et l’auteur de décliner « Si Sissi m’était contée ». En jouant sur les « si », redondances et redoublements de la syllabe, homonymies et homophonies… Une ultime facétie en forme de déclaration d’amour, qui mêle tour à tour accents cornéliens et raciniens :


« Romy Schneider l’unique, immortelle Sissi
Dont je chante la gloire et la beauté aussi
Romy, l’unique objet de mes doux sentiments,
Sissi, dont je rêvais d’être le seul amant,
Romy, à cœur perdu, ferment de mon amour,
Sissi enfin que j’aime un peu plus chaque jour… »

Une réussite que ce livre. Un petit bijou et un grand plaisir.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


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Note d’AP : cet ouvrage sera disponible en librairie à compter du jeudi 13 février 2014.




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