Après quatre mois de vie commune, l’intégration de Ndaya dans la famille de madame Eyenga fut totale. Elle avait acquis, en peu de temps, la maîtrise du lingala et pouvait communiquer parfaitement avec les autres membres de la famille. Madame Eyenga la présentait, d’ailleurs, à ses copines comme étant sa « fille ». Ce qui la mettait encore plus en confiance. Au niveau de son travail, elle réussit à convaincre madame Eyenga par la qualité de sa prestation et son intégrité morale. C’est pourquoi madame Eyenga, qui n’avait pas pris de congé depuis belle lurette, pouvait se permettre de rester à la maison, voire effectuer des voyages d’affaires de quelques jours à l’étranger.
Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis qu’elle avait rédigé sa lettre à ses parents. Mais la réponse ne venait toujours pas. Au début, à chaque fois qu’elle rentrait du magasin, elle demandait à Nancy : « il n’y a pas eu des lettres pour moi ? » Et Nancy de lui répondre en secouant la tête de gauche à droite : « Non, non; si non je t’en aurais parlé tout de suite. » Finalement, elle finit par se dire que les parents ne répondraient pas à sa lettre ; peut-être que la lettre ne leur était pas parvenue. Mais on pouvait percevoir sur son visage une certaine déception qu’elle essayait tant bien que mal de dissimuler.
Mais un jour qu’elle revenait du magasin comme à l’accoutumée, une surprise l’attendait à la maison. Après avoir franchi la porte d’entrée, elle n’en crut pas de ses yeux. Il était là, en chair et en os, en train de causer avec madame Eyenga qui était restée à la maison ce jour-là. « Non, c’est pas possible » s’écria-t-elle. « C’est toi ou ton fantôme, mon frère à moi ? ». « C’est bien moi » lui répondit son frère en lui ouvrant les bras. Ils s’embrassèrent et pleurèrent comme des gamins. Madame Eyenga, sa mère, sa sœur et Nancy formèrent un petit demi-cercle autour d’eux et les regardaient tranquillement, toutes prises d’une vive émotion.
Après s’être assise, Ndaya, qui ne comprenait toujours pas comment son grand-frère était arrivé là, attaqua : « Comment as-tu fait pour avoir mon adresse. Papa t’aurait écrit ? ». Celui-ci s’emporta sans même tenir compte de la présence des autres : « Le jour que je serai à Bashilang, je dirai deux mots à ton père. Je ne sais pas ce que je lui ai fait, moi. Finalement, sommes-nous encore une famille ou pas ? Et c’est même une grande honte. Comment peux-tu vivre dans cette ville pendant tout ce temps et je ne suis au courant de rien ? » Il se tut, un moment, pour calmer sa colère, regarda tout à coup madame Eyenga, qui était assise en face de lui et s’excusa : « Excusez-moi, madame ! »
Un silence d’ange plana au salon. Personne n’osait parler. La petite assistance regardait, tour à tour, Ndaya et son frère. La ressemblance était frappante. A la seule différence que le frère, de taille moyenne, était d’une carrure imposante avec une poitrine large d’un lanceur de poids. La calvitie, qui brillait à la lumière que diffusait l’abat-jour, lui avait ravagé toute la tête. De ses cheveux, il ne restait que quelques duvets. Et pourtant il n’avait qu’environ vingt-huit ans.
Madame Eyenga se leva en s’excusant et se retira avec les autres pour permettre à Ndaya et son frère de mieux s’expliquer. Ce dernier lui tendit une enveloppe déjà ouverte. « Tout est là dedans. Lis et tu sauras comment j’ai su que tu es ici. »
Ndaya prit l’enveloppe que lui tendait son frère, s’empressa de l’ouvrir et se mit à lire la lettre en silence : « Mon grand, Je sais que cette lettre te trouvera en bonne santé… » Au premier paragraphe, l’oncle donnait des informations sur la santé de la tante. Celle-ci souffrait toujours de la gastrique et des maux de dos. Ca, elle le savait aussi. Le deuxième paragraphe parlait de l’enfant qu’il avait fait avec sa deuxième femme. Ndaya le sauta rapidement, ses yeux cherchant ce qui l’intéressait. Elle comme tous les enfants n’aimaient pas la deuxième femme de leur oncle. Comment peut-on se marier à cet âge et continuer à faire des enfants ? se demandaient-ils. Les yeux atterrirent sur le troisième paragraphe. Car l’oncle, en bon administratif formé pendant le temps colonial, écrivait très bien ses lettres : concises, claires et ne s’attardant pas sur des détails inutiles. Ndaya continua la lecture. « Hier, j’étais chez ton oncle. Tout le monde se porte bien, mais je ne savais pas que Ndaya était déjà à Sashanti. Ca fait plusieurs mois qu’elle y est. Je suis sûr que toi aussi, tu ne le sais pas. Elle était chez sa tante maternelle, qui l’aurait virée de la maison. Pour une histoire de perruque, si j’ai bien compris. Tu connais ton oncle. Il ne veut pas m’en parler parce que, pour lui et sa femme, je suis un sorcier. Néanmoins, un coup d’œil jeté sur la lettre qui traînait sur la table m’apprit l’adresse que voici… Fais vite pour retrouver la petite. Nous ne devons pas suive toutes les bêtises de ses parents.
Ndaya fut interrompue dans la lecture de la lettre. Quelqu’un frappa frénétiquement à la porte. Madame Eyenga alla ouvrir et se trouva en face du convoyeur d’Ingo. Elle eut un grand choc, manquant de s’évanouir. « Que s’est-il passé » lui demanda-t-elle dans un souffle. « Où est mon fils ? » demanda-t-il, angoissée. « Madame Eyenga, Paul me charge de vous dire qu’il est passé avec Ingo à l’hôpital général. Il a fait un accident avec son camion sur le chemin de retour, à plus ou moins quatre-vingts kilomètres d’ici. Ses jours ne sont pas en danger, mais on soupçonne un bras gauche et quelques côtes cassées. ».
Tout le monde si mit à pleurer. Madame Eyenga retourna vite dans la maison, s’enferma quelques minutes dans sa chambre. Lorsqu’elle en sortit, elle demanda à sa sœur de l’accompagner à l’hôpital. Elle n’eut même pas le temps de dire au revoir au frère de Ndaya. Ce dernier se mit débout et promit à Ndaya de repasser la prendre avec ses affaires. Mais avant cela, elle devait d’abord causer avec madame Eyenga. (A suivre)
Lumbamba Kanyiki
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