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Le dessin du dimanche

Publié le 09 février 2014 par Ctrltab

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J’étais au buffet de la gare. Le plafond trop haut, les ballons de lumière art déco, les papiers de la formation sous mon nez. Description des cours, techniques et stages, bio des professeurs. Ou Comment Devenir Fossoyeur : Formation Continue Accélérée en moins de trois mois.  Les prérequis pour acquérir la licence d’embaumeur. Les funérailles toutes confessions confondues (athéisme inclus). Hygiène et sécurité (des morts et des vivants). Négociations des caveaux auprès de la mairie. Législation et réglementation funéraires. Choisir sa morgue. Psychologie et sociologie du deuil. Manager une équipe et les familles. Etc.

Mon pote m’avait laissé coi cinq minutes avant devant mon renversé. Il avait affaire à faire. Il était dans le mouvement du monde. Contrairement à moi. La veille, il m’avait expliqué, on lui avait donné rendez-vous dans un bar à putes. T’es déjà rentré dans ces bauges ? (J’aimais son vocabulaire suranné) Je veux dire, chez nous, et pas en touriste égaré à l’étranger. Eh bien, c’est partout pareil. Des filles qui n’ont plus que leur cul pour ne pas s’ennuyer. Des représentants de commerce qui sirotent leur bière, les yeux noyés, et trempent leur bite dans l’atmosphère délétère. Les chattes en l’air se frottent le long de la barre en plexiglas lavée quelques heures auparavant à l’Ajax. Lui, il devait voir là son propriétaire, c’est aussi le patron du lieu, le sexe et l’immobilier, ça rapporte, tu sais. On est trop con, c’est ça qu’on devrait faire. Bon, bref, il avait besoin de demander une rallonge pour son loyer. Besoin encore un peu de temps mais il paierait. Promis, juré, craché. Et puis, il était reparti, il avait affaire à faire. Salut vieux !

Lumière du hall de gare. Ouvert. Transit. Personne ne me connaît ici. Loup blanc. Je n’ai pas à montrer mes dents. Je continue à lire les mots (les maux ?) de ma future carrière. Empathie. Discrétion. Clarté. En l’occurrence : clarté financière. L’argent doit toujours être énoncé. Ne pas donner l’impression de profiter de la douleur, non toujours la soulager. Tout sera fait dans la dignité. Parler avec distance et majuscules. Comme Il ou Elle aurait aimé. Un enterrement à son image, son enterrement rêvé.* Petite astérisque : se rapporter au Chapitre 3 Promotion du business. Tact. Précision. Proscrire l’humour. Ne jamais pleurer. Se mettre à la place de l’autre mais ne jamais prendre sa place. En annexe : les témoignages satisfaits des anciens stagiaires, ceux qui sont passés de l’autre côté. Je m’étonne. Tous racontent plus ou moins la même chose. Les raisons de leur choix : un décès personnel raté, un mort omniprésent dans leur vie. Et puis la volonté d’aider d’autres à traverser cette épreuve. The Smell of Strangers. Ca fredonnait dans ma tête. « Je suis naturellement apathique, ça inspire la confiance et l’abandon. » En creux, le plaisir de pouvoir revivre son deuil, ad aeternam, en douce, en voleur. Procuration. Je cherche le chapitre Fantôme, étrangement il n’y en a pas. Que chacun fasse le tri dans ses propres placards, je suppose. C’est peut-être un module complémentaire à 500 Francs.

Je m’interroge. Il se cache où mon mort qui m’oblige à venir le croquer. Je n’ai pas de fiancée disparue à la fleur du printemps, pas de parents fauchés par les blés, pas de meilleur ami tombé dans la cage d’ascenseur. Non, c’est Mme Lohan de l’Office Régional du Placement avec ses lunettes rondes et son grain de beauté au coin de la fossette droite qui a choisi ma voie : « vous êtes fort et musclé, vous porterez facilement les cercueils et puis, je suis sûre que votre côté taiseux vous aidera. » Et puis j’avais reçu ma convocation pour aujourd’hui : « Suite à votre bilan d’aptitudes et de perspectives, vous correspondez au code 613. Félicitations, vous êtes fait pour devenir entrepreneur de pompes funèbres. Votre premier rendez-vous est le vendredi 31 à 13h à Lausanne. » J’avais décroché le bon numéro. J’ai juste pensé à la terre glacée et que ça serait dur à creuser. Mais j’avais un avenir, la destiné avait parlé, les cieux s’ouvraient. A tombeau ouvert.

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